Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina
Dans une décision de 2016 de la Cour supérieure, Kugler c. IBM Canada Limited, la Cour accorde une indemnité de départ de 20 mois au demandeur par suite de son congédiement.
Avant de travailler au service de la défenderesse, le demandeur a travaillé comme président-directeur général de Systemcorp pendant une dizaine d’années. En 2004, cette entreprise a été rachetée par la défenderesse et c’est dans ce contexte que le demandeur a signé un contrat d’emploi avec celle-ci. Les clauses 12.1 et 12.2 de ce contrat prévoyait qu’en cas de congédiement, le demandeur aurait droit à une indemnité de départ de 3 semaines par année de service, sans toutefois excéder 12 mois.
Quelques années plus tard, en 2013, le demandeur est licencié pour des raisons de restructuration économique. À ce moment, estimant cette décision injuste, le demandeur refuse de signer la lettre de cessation d’emploi et la quittance, de sorte qu’il ne reçoit rien de la défenderesse, mise à part une indemnité de départ de deux semaines. L’une des questions que doit trancher la Cour et celle qui fait l’objet de cet article de blogue est donc de déterminer si le demandeur a droit à une indemnité de départ supérieure à 12 mois, à savoir, le délai prévu à son contrat d’emploi.
Après une analyse détaillée, la Cour répondra par l’affirmative à cette question et ordonnera à la défenderesse de payer la somme de 525 660,23 $ au demandeur soit environ 20 mois de salaire.
Voyez la façon dont la juge motive sa décision :
[68] Premièrement, Kugler a témoigné que son expérience était dans le domaine du matériel technologique (« hardware ») et qu’il n’existait pas à Montréal de possibilité d’emploi comparable au poste qu’il occupait chez IBM, le marché en étant un de services et qu’il était très restreint à Toronto. Les compagnies qui pouvaient offrir ce genre de postes étaient Oracle, HP et Cisco, trois compétiteurs importants d’IBM situés en Californie.
[69] Or, non seulement son témoignage n’a pas été contredit, mais IBM n’a offert aucune preuve visant à démontrer qu’il y avait des postes disponibles au sein d’autres entreprises durant la période visée.
[70] De plus, IBM ne lui a offert aucune aide à la réinsertion professionnelle, car il a refusé de signer la quittance.
[71] Deuxièmement, dans l’année suivant son départ, il était difficile sinon impossible pour Kugler d’offrir ses services à des employeurs œuvrant dans son domaine d’activités puisque IBM n’a jamais voulu renoncer à l’application de la clause de non-concurrence ni même préciser les limites de son application.
[72] Kugler a pris sur lui de respecter les clauses de non-concurrence et de non- sollicitation par professionnalisme et parce qu’il craignait des représailles de la part d’IBM s’il sollicitait un emploi auprès des concurrents de cette dernière. Ses demandes verbales et écrites auprès d’IBM visant à obtenir des clarifications quant à l’application de ces clauses sont restées sans réponse, alors qu’IBM exigeait dans sa lettre de cessation le respect de celles-ci.
[73] Selon Kugler, les personnes à qui il parlait se contentaient de lui réciter le contenu de la lettre de cessation. Un représentant d’IBM lui a laissé entendre que l’entreprise pourrait restreindre la clause de non-concurrence à Oracle, Cisco et HP, mais jamais IBM ne lui a confirmé par écrit sa position. IBM est une très grosse compagnie. Négligeant de répondre clairement aux demandes de Kugler, elle mettait ce dernier à risque quant à tout travail qu’il aurait pu obtenir dans le domaine de la technologie relevant de ses compétences. On ne peut reprocher la conduite de Kugler à cet égard.
[74] Troisièmement, compte tenu de ce qui précède, Kugler était justifié de faire des démarches pour se lancer en affaires. À cet égard, la preuve révèle que ce dernier a activement cherché à se replacer sur le marché du travail en explorant de nombreuses possibilités d’affaires :
[…]
[86] En résumé, l’indemnité de 12 mois maximum a été négociée en 2004. Kugler est congédié en juin 2013.
[87] Après une analyse pondérée de l’ensemble des facteurs, le Tribunal estime que l’indemnité prévue à la clause 12.1 du contrat n’est pas raisonnable et qu’une indemnité tenant lieu de préavis de délai de congé de 20 mois est appropriée dans les circonstances. À cet égard, le Tribunal tient compte des années de services comptés de Kugler (près de 20 ans), de son âge au moment de son licenciement (49 ans), de la nature de ses fonctions (cadre supérieur Band D), du fait qu’il gérait des revenus de 700 M$ et qu’avant 2012, sa rémunération annuelle moyenne au cours des deux années complètes précédant son licenciement était de 438 137 $ par année, que, sauf en 2012 et nous y reviendrons, son dossier d’emploi était exemplaire, de la difficulté de se trouver un emploi dû à la rareté dans le domaine de sa spécialité, des efforts de mitigation et de la jurisprudence en semblable matière.
[88] Cela dit, dans la décision de la Cour d’appel Structures Lamerain inc. c. Meloche, la juge Marcotte, s’exprimant au nom de la majorité, écrit que le juge de première instance pouvait réviser à la hausse le délai de congé contenu aux contrats d’emploi, sans pour autant conclure à la nullité des clauses d’indemnité de départ, puisqu’en vertu des articles 2091 et 2092 C.c.Q., le salarié a toujours droit à un délai de congé.
[89] L’article 2092 C.c.Q. s’applique donc sans égard avec le fait de demander la nullité ou non de la clause contractuelle relative au délai-congé. Il n’y a rien d’illégal d’ailleurs à inclure un délai-congé ou une indemnité de départ dans un contrat d’emploi. Il importe de souligner qu’une clause d’indemnité de départ et une quittance peuvent être raisonnables et usuelles lors de la conclusion du contrat mais deviennent déraisonnables ou abusives lors de sa mise en application. Ainsi, le concept de la renonciation à l’indemnité raisonnable et de la quittance s’évalue au moment de la rupture du contrat de travail.
[90] Or, en l’espèce, les clauses 2.1 et 2.2 sont nulles, sans effet et inopposables à Kugler puisque, appliquées au moment du licenciement de Kugler, elles font en sorte de dégager l’employeur de son obligation de payer une indemnité raisonnable et par là même implique une renonciation de Kugler à ses droits. Le même principe s’applique eu égard au fait que le licenciement a été fait de façon abusive.