Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina
Dans une décision de 2023, llieva c. Placements LLC inc., le Tribunal administratif du travail est amené à décider d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.
Dans cette affaire, la plaignante est une gestionnaire immobilière qui a été embauchée par son employeur en 2006. Près de quinze ans plus tard, en 2020, son supérieur s’aperçoit de plusieurs erreurs importantes dans la gestion des renouvellements des baux dont elle a la responsabilité. Le 12 mai 2020, la plaignante reçoit un courriel dans lequel son supérieur mentionne qu’il suspend ses activités pour fins d’enquête. Quelques jours plus tard, tous les employés sont convoqués à une rencontre. Croyant avoir été congédié le 12 mai, la plaignante ne se présente pas à la rencontre.
Conséquemment, le 27 mai 2020, le supérieur de la plaignante lui signifie une lettre de fin d’emploi pour motif d’absence à un entretien obligatoire préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
La question en litige que doit trancher le Tribunal est donc celle de déterminer si la plaignante a commis une faute en refusant de se présenter à la rencontre fixée par l’employeur. Dans l’affirmative, le Tribunal doit établir si cette faute justifiait un tel congédiement. Après analyse, le Tribunal conclura que la plaignante a bel et bien commis une faute, mais que celle-ci ne pouvait, à elle seule, justifier son congédiement.
Voyez la façon dont le juge motive sa décision :
[25] À la simple lecture du courriel du 12 mai, il est manifeste qu’elle n’est pas congédiée. Le fait qu’elle cesse, pour cette raison, de consulter ses courriels professionnels relève plutôt d’un excès de zèle de sa part.
[26] De plus, même s’il y avait véritablement eu une ambiguïté au sujet du maintien de son lien d’emploi, ce que la preuve ne démontre pas, celle-ci est totalement dissipée dès le 20 mai, lorsque madame Bouchard lui envoie un courriel à son adresse professionnelle, des messages textes et un message sur Facebook Messenger afin de s’assurer qu’elle soit informée de la tenue de la rencontre du lendemain.
[…]
[32] Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une mesure disciplinaire vise à amener le salarié à corriger son comportement fautif. Ainsi, à moins d’une faute grave entraînant le bris immédiat du lien de confiance, l’employeur doit normalement respecter le principe de la gradation des sanctions avant d’en arriver au congédiement.
[33] Dans le présent cas, comme mentionné précédemment, outre le fait de ne pas se présenter à la rencontre prévue le 21 mai, la lettre de congédiement dresse une liste comprenant plusieurs « fautes graves, actes et omissions ». Il est également écrit que le fait que celles-ci aient été commises « dans une période rapprochée et de façon spontanée et intempestive laisse croire à un manque de loyauté ».
[34] Précisons toutefois qu’aucune preuve n’a été présentée à ce sujet. Tout au plus, monsieur Caron affirme sommairement que des baux ont été renouvelés pour une période de deux ans, sans indexation annuelle. Il ne réfère cependant à aucun bail en particulier, et ce, même si la lettre de fin d’emploi fait état d’« au moins 33 cas documentés ».
[35] De plus, ces « fautes graves, actes et omissions » correspondent presque parfaitement aux manquements énumérés dans une lettre qui devait initialement être remise à la plaignante au cours de la rencontre du 21 mai lors de laquelle, selon le témoignage de monsieur Caron, il n’était alors pas question de la congédier.
[36] Ainsi, malgré ce qui est écrit dans la lettre de congédiement, la seule faute qui a été prouvée et qui doit par conséquent être prise en considération afin de déterminer si le congédiement constitue une sanction appropriée est l’insubordination de la plaignante.
[37] Or, cette dernière compte près de 14 ans de service et a un dossier disciplinaire vierge. En outre, la rencontre à laquelle elle a refusé de participer ne lui a jamais été présentée comme étant de nature disciplinaire ou encore pour faire la lumière sur quelque problématique particulière.
[38] Au contraire, celle-ci avait plutôt l’apparence d’une rencontre d’équipe, ses collègues de travail ayant également toutes été convoquées. Après avoir indiqué qu’elle ne comprenait pas pourquoi sa présence était requise à une telle rencontre, madame Bouchard lui a simplement répondu qu’elle ferait le message à monsieur Caron si jamais elle ne souhaitait pas y être présente.
[39] Cette dernière a rectifié le tir le lendemain, en précisant que sa présence était obligatoire. Toutefois, que ce soit dans la convocation initiale de la rencontre, dans les messages de madame Bouchard ou dans le courriel demandant des disponibilités pour la remettre, la plaignante n’a en aucun cas été avertie que le défaut de s’y présenter pouvait entraîner des conséquences comme le congédiement ou toute autre mesure disciplinaire.
[40] Dans les circonstances, le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante ne permet pas de conclure que la faute présente un degré de gravité suffisant pour briser irrémédiablement le lien de confiance et justifier de passer outre le principe de la progression des sanctions.