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Décision récente: application des sept critères pour un changement de poste et le congédiement déguisé

31 mai 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux

 

 

Dans une décision très récente de la Cour supérieure, Poulin c. Hydro-Québec, un cadre supérieur voit sa demande d’indemnité rejetée après avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé.

 

Le demandeur était à l’emploi d’Hydro-Québec depuis 35 ans, ayant débuté comme ingénieur junior et progressé à travers les niveaux hiérarchiques. En 2020, à la suite d’une réorganisation de la société, on l’informe qu’il a été muté à un poste similaire mais dans un autre département, et que son refus d’accepter sera assimilé à une démission. Le demandeur conteste cette décision.

 

Le tribunal doit d’abord trancher si l’employé a été victime d’un congédiement déguisé, et le cas échéant, s’il a suffisamment minimisé ses dommages pour se voir attribuer une indemnité de départ.

 

La cour répond par l’affirmative à la première question. En revanche, il statue différemment sur la seconde question, considérant que le demandeur a manqué à son obligation de minimiser ses dommages. Ainsi, à la lumière d’une analyse jurisprudentielle, on conclut qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait accepté le nouveau poste proposé par Hydro-Québec. À titre d’exemple, l’un des critères constituant cette analyse est de se demander si le changement de poste implique un changement de salaire ou des conditions de travail (ce qui n’est pas le cas en l’espèce).

 

En conséquence, la cour refuse d’accorder une indemnité de départ à l’employé.

 

Voyez comment le juge a motivé sa décision :

 

[92]        Le Tribunal est d’avis que Poulin a fait l’objet d’un congédiement déguisé, la mutation lui étant imposée par HQ constituant une violation de son contrat de travail.

[93]        Le plus récent contrat de travail de Poulin, daté du 1er juillet 2019[66], contient une description précise de ses fonctions, à titre de vice-président, planification, stratégies et maintenance. Rien dans ce contrat ne permet de modifier substantiellement les fonctions attribuées à Poulin. Avant d’accepter ce poste, ces nouvelles fonctions avaient été discutées avec son supérieur et approuvées par Poulin, qui était très heureux de voir augmenter ses attributions à caractère stratégiques et de voir éliminées celles étant plus de l’ordre de l’exécution.

[94]        HQ plaide que les changements aux fonctions de Poulin ne sont pas des modifications substantielles aux conditions essentielles de son contrat de travail, puisque celui-ci conservait le même salaire, les mêmes avantages sociaux et le même fonds de pension. Or, les conditions essentielles ne se limitent pas aux aspects pécuniers, mais incluent aussi la nature des tâches du salarié[67]. Ici, il ne fait aucun doute qu’HQ a unilatéralement modifié de façon importante les tâches assignées à Poulin. On veut le muter d’un poste de vice-président ayant des tâches purement stratégiques à un poste de directeur principal à qui des tâches beaucoup moins stratégiques sont confiées. De surcroît, personne n’informe Poulin de la réflexion en cours avec le cabinet Mercer, qui résultera ultimement en l’élimination de tous les titres de vice-président pour ceux ne se rapportant pas directement au PDG d’HQ. Poulin ne peut donc pas y voir autre chose qu’une rétrogradation. De l’avis du Tribunal, une personne raisonnable placée dans la même situation que Poulin y aurait vu la même chose.

[…]

[104]     Le Tribunal est d’avis que Poulin a fait défaut de respecter l’obligation lui incombant, en vertu de l’article 1479 C.c.Q., de minimiser ses dommages, de sorte que sa réclamation doit être rejetée pour ce seul motif. Voici pourquoi.

[…]

[108]     Analysons maintenant les sept (7) critères élaborés par la jurisprudence et la doctrine[71] et devant être considérés dans l’analyse contextuelle servant à décider si une personne raisonnable aurait accepté l’offre d’emploi fait à Poulin par HQ.

1)    Le salaire offert a-t-il changé?

[109]     La réponse à cette question est négative et ceci n’est pas contesté.

2)    Les conditions de travail sont-elles sensiblement différentes?

[110]     Mis à part la description des tâches de Poulin, l’ensemble de ses conditions de travail demeuraient inchangées dans le nouveau poste sur lequel il était muté. La réponse à cette question est donc négative.

3)    Le travail est-il dégradant?

[111]     La réponse à cette question est aussi négative. Bien que le Tribunal retienne le témoignage de Poulin à l’effet que ses nouvelles tâches auraient été plus de l’ordre de l’exécution que d’ordre stratégique, cela ne fait pas en sorte que son nouveau travail aurait été dégradant. Rien dans la preuve ne suggère que ceci aurait été le cas.

4)    Les relations personnelles sont-elles acrimonieuses?

[112]     Une réponse négative s’impose de nouveau. Poulin n’avait de relations acrimonieuses avec personne chez HQ. Il est vrai que, lorsque Poulin communique avec Dubois le 23 juillet 2020[72], il se fait répondre qu’un fossé s’est creusé entre lui et Murray. C’est cependant au moment où Poulin refuse la mutation que le Tribunal doit se placer pour évaluer si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait accepté cette offre. Or, ce moment se situe plus d’un mois avant la discussion susmentionnée et à cette date, aucun fossé ne s’était encore creusé.

5)    Quel est l’historique et la nature de l’emploi?

[113]     S’il avait accepté l’offre d’HQ, Poulin aurait été à la tête d’une division importante. Rien dans l’historique ou la nature de cet emploi ne suggère qu’une personne raisonnable l’aurait refusé.

6)    L’employé a-t-il ou non intenté une action en justice?

[114]     Au moment où Poulin a refusé l’offre d’HQ, il n’avait toujours pas intenté d’action en justice. Ce critère milite donc en faveur de l’acceptation de l’offre d’HQ.

7)    L’offre a-t-elle été faite à l’employé pendant qu’il travaillait encore pour l’employeur ou seulement après son départ?

[115]     L’offre d’HQ que Poulin a refusé lui a été présentée de façon concomitante à son congédiement déguisé, alors qu’il était toujours à l’emploi d’HQ. Ce critère milite aussi en faveur de l’acceptation de l’offre d’HQ.

[…]

[120]     Le Tribunal est donc d’avis qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que Poulin aurait accepté l’offre d’HQ, quitte à chercher parallèlement un autre emploi ailleurs. Conclure autrement ferait en sorte d’établir « une distinction artificielle entre l’employeur qui congédie son employé puis offre de le reprendre à son service, et celui qui donne un préavis de cessation d’emploi et offre un préavis.[77] » Tel que le mentionne la Cour suprême du Canada, « il serait absurde […] de dire que le maintien de cette relation est acceptable lorsqu’il est qualifié de « préavis » mais qu’il ne l’est pas lorsqu’il est qualifié de « limitation du préjudice »[78].