Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Emma Therrien
Dans une décision de 2019 rendue par la Cour supérieure, Raby c. Sobeys Québec inc., la demanderesse, après 31 ans de travail pour la défenderesse, allègue avoir été victime d’un congédiement déguisé.
La demanderesse débute son emploi chez la défenderesse en 1984 et progresse dans l’entreprise au fil des années.
En 2011-2012, un nouveau système d’évaluation, incluant des évaluations par les supérieurs, est mis en place au sein de l’entreprise. Bien qu’à sa première évaluation elle reçoive la mention “amélioration requise”, elle obtient la même année le plus gros boni de sa carrière.
Lors de son évaluation 2012-2013, elle reçoit des commentaires positifs de la part du vice-président, jusqu’à ce que le président se joigne à la réunion et formule des critiques. Cette évaluation s’est à nouveau conclue par la mention “amélioration requise”, entraînant la suspension de son bonus et un plan d’amélioration.
Extrêmement déçue par cette rencontre, la demanderesse tombe en congé de maladie à partir du 15 juillet 2013. Pendant ce congé, son poste est aboli, et la remplaçante de la demanderesse se fait transférer à un nouveau poste créé par l’initiative du président.
Plus d’un an après, la demanderesse, toujours en congé, rencontre le président et la direction des ressources humaines qui lui font part de la restructuration de l’entreprise. Le nouveau poste créé ne lui ayant pas été proposé, on lui offre un poste de chef-gestion en prévision de son retour.
En novembre 2014, la demanderesse découvre que le salaire associé à son nouveau poste est moindre que celui qu’elle avait précédemment, mais on lui garantit le maintien de son salaire actuel pour 12 mois. Toutefois, elle ne sera plus éligible au régime de retraire des directeurs et ne sera plus admissible pour le “voyage congrès” de la compagnie défenderesse.
Ses demandes répétées pour obtenir confirmation de son titre et précision sur la description de celui-ci reste sans réponse. Elle en conclut qu’elle est victime d’un congédiement déguisé.
Face à cette situation, le juge devait trancher plusieurs questions, notamment celle de la nature du congédiement.
Voyez comment le juge motive sa décision :
[69] En l’espèce, le poste offert à madame Raby comportait des changements importants par rapport au poste qu’elle occupait avant son congé. Le simple fait que son salaire était maintenu pour un an constitue une reconnaissance qu’à plus long terme, il serait moindre.
[70] Un courriel du 12 novembre 2014 détaille les changements[20].
[71] Son salaire passerait après un an de 92 718 $ à 85 000 $.
[72] La bonification passerait de 23,75 %-63,34 % à 7,5 %-20 %.
[73] Le boni maximum pour un chef est donc de 17 000 $ alors que le boni minimum est de 22 020 $ pour un directeur. Ceci donne un salaire maximum de 102 000 $ pour un chef et un salaire minimum de 114 738 $ pour un directeur. La différence est de plus de 11 %. Si un seuil de 10% est requis pour satisfaire un standard quelconque de « changement substantiel », il est atteint.
[74] Madame Raby ne serait plus éligible au régime de retraite des directeurs mais plutôt celui des employés. Elle ne serait plus éligible au « voyage congrès ».
[75] Un chef n’est pas un directeur. Son repositionnement hiérarchique constituait une rétrogradation. Le bureau des chefs est différent de celui des directeurs. Aux opérations -détail, la majorité des bureaux de chef ne sont pas fermés.
[76] Mais il ne s’agit pas que d’une question uniquement hiérarchique ou de confort. Madame Raby perdait d’importants avantages connexes. Non le moindre était la perte de possibilité de participer au « voyage congrès ».
[77] Le régime de retraite des directeurs est beaucoup plus avantageux que celui des employés.
[78] La cause de madame Raby rappelle à plusieurs égards celle de Drouin c Équipements Sigma inc.,[21] dans laquelle le juge Landry conclut à un congédiement déguisé. La demanderesse Drouin s’était vu offrir un poste au même salaire mais comportant une importante perte de prestige dans l’entreprise, des remboursements de dépenses différents et une place inférieure dans l’organigramme corporatif.
[79] En l’espèce, la rémunération de madame Raby était appelée à diminuer de façon significative. Non seulement son salaire allait-il baisser mais la bonification était substantiellement inférieure.
[80] Les changements de conditions de travail sont substantiels. Le tribunal conclut que madame Raby a subi un congédiement déguisé.