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Le congédiement et les avis disciplinaires: de l’importance de faire preuve de communication constante

29 juillet 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, en collaboration avec Emma Therrien

 

Dans une récente décision de la Cour supérieure, Demers c. Golf St-François ltée, le juge examine l’importance des avis disciplinaires alors qu’il se prononce sur le congédiement d’un ancien employé d’un club de golf.

En 2020, l’employé, qui entretient des relations de longue date avec l’employeur et son personnel, rend service à celui-ci en remplissant un poste vacant à la suite de la démission soudaine d’un employé. Il est embauché en tant que directeur pour une durée déterminée, jusqu’au 31 décembre 2021.

Dès son embauche, l’employé commence à mettre en œuvre certains changements nécessaires afin d’améliorer le rendement de l’entreprise.

L’employé propose d’offrir des rabais pour faciliter le recrutement, mais cette proposition est rejetée par ses supérieurs. Peu de temps après, ceux-ci constatent que certains rabais sont affichés dans les publicités. Malgré la frustration engendrée par cette situation, personne ne parle à l’employé pour lui reprocher son comportement.

Celui-ci propose ensuite l’adoption de nouveaux outils informatiques. Les deux parties examinent quelques options ensemble et conviennent d’installer un système plus abordable. À la suite de cette décision, plusieurs personnes expriment leur mécontentement à l’égard des nouveaux logiciels. Cependant, aucun supérieur ne communique directement ses préoccupations à l’employé.

Plus tard, l’employeur autorise l’employé à acheter 10 chariots à main. Ce dernier acquiert les 10 chariots, mais décide d’en acheter quelques-uns supplémentaires en constatant qu’il y avait de la place disponible dans la remorque.  À son retour, l’employeur accepte de rembourser tous les chariots achetés, et dissimule son désaccord.

Plusieurs autres situations similaires ont été présentées lors de l’argumentation de l’employeur. Pourtant, seulement un avis disciplinaire a été émis, et le ton de celui-ci ne communique aucunement à l’employé qu’il risque de perdre son emploi.

Le juge conclu alors que les motifs ne justifient pas le congédiement.

Voyez son raisonnement ci-dessous :

 

[43]        Un employeur ne peut rester dans l’ombre, prendre des notes, se mordre les lèvres, bouillir et « monter un dossier » à propos d’un salarié pour finalement, un jour, estimer que le vase déborde et imposer un congédiement. Un tel comportement serait contraire aux exigences de la bonne foi, notamment eu égard aux volets de transparence et d’honnêteté et de considération des intérêts du salarié. C’est malheureusement ce qui se produit trop souvent : un employeur tolère des comportements qui lui déplaisent sans informer le salarié qu’il considère que ces comportements sont fautifs et que son emploi est en danger jusqu’à ce qu’un bon jour, l’employeur se fâche et congédie subitement le salarié. La présente affaire est justement un cas de ce genre.

[44]        Demers invoque par ailleurs la règle de la progression des sanctions. Cette règle est une application des obligations de bonne foi et de maintien des conditions de travail raisonnables et de protection de la dignité du salarié qui incombe à l’employeur. Contrairement à ce que semble penser Demers, il ne s’agit pas nécessairement d’une progression précise du genre : avis verbal, avis écrit, suspension d’un jour, puis de trois jours puis de cinq jours, suivis finalement d’un congédiement. Ce genre d’échelle progressive se retrouve souvent dans des conventions collectives et s’impose alors aux parties. En l’absence d’une telle échelle dans un contrat de travail, l’employeur est tout de même tenu de respecter une certaine progression des sanctions.

[45]        La règle habituelle de la progression des sanctions ne s’applique toutefois pas de la même manière à un cadre qu’à un salarié ordinaire[19]. Plus le cadre occupe un poste élevé, et moins on exigera de son employeur de procéder à des sanctions progressives.

[46]        Cela ne signifie pas non plus qu’un employeur peut procéder à un congédiement d’un cadre supérieur sans avoir pris des mesures appropriées en amont qui tiennent compte notamment de ses devoirs d’agir de bonne foi, de maintenir des conditions de travail justes et raisonnables et de protéger la dignité du salarié. À cet égard, il faut procéder à une approche contextuelle qui tienne compte de l’ensemble de la situation. Il faut notamment tenir compte de la position réellement occupée par le salarié au sein de l’entreprise, de l’envergure de l’entreprise, du contrat d’emploi, de la nature des fautes reprochées, de l’écoulement du temps entre les fautes reprochées et leur sanction, des communications, comportements et représentations des parties, de la tolérance passée et des façons de faire propres au milieu de travail. Exprimé plus simplement, sauf en cas de faute grave justifiant un congédiement immédiat, le salarié doit être avisé que son comportement est inacceptable et avoir une réelle occasion de s’amender en bénéficiant du soutien de l’employeur.