Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Le 9 novembre 2022, le Tribunal administratif du travail accueille la plainte de monsieur Rivard (Rivard c. Aviron Québec Collège technique inc.), concluant que le demandeur remplit toutes les conditions requises pour bénéficier de la protection à l’emploi prévue à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (la Loi).
Quelques semaines plus tard, Aviron présente une demande de révision, en contestant uniquement la décision selon laquelle monsieur Rivard, au moment de son congédiement, ne remplissait pas la condition de deux ans de service continu. Aviron soutient que cette erreur de droit est un vice de fond susceptible d’invalider la décision contestée et que, par conséquent, la plainte de l’employé fondée sur l’article 124 de la Loi aurait dû être rejetée.
Dans les faits, le demandeur rejoint Aviron en 1997 et devient enseignant en mécanique automobile en 2007. En septembre 2018, il reçoit une lettre de licenciement indiquant que son dernier jour de travail sera le 2 novembre 2018. Comme il n’y a aucune classe à ce moment-là, il est affecté à l’inventaire. Le 6 mai 2019, il est réembauché comme directeur adjoint, puis licencié le 28 avril 2021.
Le Tribunal en première instance conclut que l’interruption du travail survenue le 2 novembre 2018 était une mise à pied temporaire qui n’a pas entraîné la résiliation du contrat de travail. Par conséquent, le service continu de l’employé n’a pas été interrompu. D’ailleurs, le Tribunal rappelle également le service continu n’est pas affecté par la conclusion d’un nouveau contrat de travail.
En l’espèce, le Tribunal, en révision, souscrit à cette conclusion et déclare ainsi que l’employeur n’a démontré aucun vice de fond susceptible d’invalider la décision contestée. Le Tribunal déclare également que la notion de service continu et les faits qui ont conduit à cette conclusion ont été interprétés de manière large et libérale, conformément à la jurisprudence établie.
La demande de révision de l’employeur est donc rejetée.
Voyez en plus grand détail comment le Tribunal motive sa décision :
[21] La demande ici soumise porte sur la notion de service continu définie à l’article 1 12 0 de la LNT :
«service continu» : la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non-renouvellement de contrat.
[…]
[25] Une jurisprudence constante fait état de ces principes dans le cadre de l’application des différentes dispositions de la LNT. Sur la notion de service continu, on peut lire ce qui suit dans Alliance des professeures et professeurs de Montréal c. Commission scolaire de Montréal (grief syndical), 2017 QCTA 640 :
[41] Par ailleurs, la notion de service continu doit recevoir une interprétation large et libérale. Elle ne doit pas être lue strictement. Elle doit s’adapter à la réalité du milieu de travail9.
[Note omise]
[…]
[27] Aussi, les faits qui sous-tendent la conclusion de non-interruption de service continu ont reçu du Tribunal en première instance une interprétation qui peut raisonnablement mener à cette décision. La séquence des événements permet en effet de conclure que la fermeture annoncée du collège n’était plus le motif de l’interruption de travail de novembre 2018. Entre le 10 septembre et le 2 novembre 2018, alors que monsieur Rivard est toujours au travail, la situation se transforme. La prestation de travail est quand même suspendue, mais le motif en est qu’il n’a pas à ce moment de charge de cours. Le Tribunal en première instance conclut donc que cet arrêt de travail est temporaire. Dès février il est d’ailleurs rappelé pour l’exécution de certains travaux. Il ne s’agit pas d’une résiliation du contrat de travail.