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Un employé lié par des contrats à durée déterminée successifs réintégré

8 octobre 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

 

Dans une décision récente du Tribunal administratif du travail, Charette c. Centre du Camping Rémillard Inc., un employé a été réintégré dans son poste après avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé découlant d’une pratique interdite.

Depuis 2008, M. Charette travaillait pour le Centre du Camping Rémillard, une entreprise œuvrant dans la vente, la location et la réparation de roulottes et de véhicules motorisés, en tant que directeurpuis représentant des ventes.

En 2014, le fils du propriétaire a pris en charge la compagnie et a décidé de faire signer des contrats de travail à durée déterminée aux employés. À partir de cette date, M. Charette était lié à l’employeur par des contrats de travail successifs d’un an, renouvelables au mois de février de chaque année.

En novembre 2022, M. Charette a appris qu’il était atteint d’un cancer et a donc pris un congé de maladie. À la mi-février 2023, il a recontacté son employeur en prévision de la nouvelle saison. Ses traitements réduisant son énergie, l’employeur lui a proposé un travail de démarchage qu’il pouvait effectuer depuis son domicile. Se sentant mieux, M. Charette a entamé en avril des discussions avec son employeur concernant le renouvellement de son contrat de travail. Cependant, son employeur lui a offert des conditions différentes de celles de l’année précédente, notamment en limitant ses droits de vente et en réduisant drastiquement ses revenus. Le plaignant a estimé que l’offre de l’employeur constituait une modification substantielle de ses conditions de travail. Se sentant dans une impasse, il a démissionné en mai 2023.

Le Tribunal a conclu que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée et que M. Charette avait fait l’objet d’un congédiement déguisé. L’employeur avait apporté des modifications substantielles à son contrat de travail après son absence pour maladie, ce qui constitue une pratique interdite selon la Loi sur les normes du travail. La démission de M. Charette n’étant pas volontaire, mais due à ces modifications imposées, le Tribunal a ordonné sa réintégration et une compensation pour la perte de salaire subie.

Voyez comment le juge a justifié sa décision :

 

 

[25] La preuve convainc le Tribunal que le contrat de travail entre le plaignant et l’employeur en était un à durée indéterminée. D’abord, le plaignant travaille sans interruption depuis mars 2008. Depuis environ 12 ans, il exécute les mêmes tâches et responsabilités. Au début de la relation d’emploi, soit pendant environ 5 ans, le plaignant est lié à l’employeur par un contrat de travail à durée indéterminée. Il y a 10 ans, le fils du propriétaire prend en charge la compagnie familiale et décide de faire signer des contrats de travail d’une durée d’un an à tous les employés afin de pouvoir renégocier les conditions de travail annuellement.

(…)

[28] Le comportement de l’employeur lors de l’arrivée du terme est particulièrement révélateur de cette intention commune. En effet, malgré l’expiration du terme au mois de mars 2023, l’employeur ne produit pas de relevé d’emploi indiquant la fin du contrat. Un seul relevé sera émis par l’employeur le 6 mars 2023, soit la veille de l’expiration du contrat, pour une absence maladie. Il ne verse pas les commissions ni les vacances dues. Il ne le fera qu’au début du mois de juin après la remise de la lettre du plaignant indiquant qu’il n’a d’autres choix que de démissionner.

[29] Tous ces éléments convainquent le Tribunal que le plaignant et l’employeur étaient liés par un contrat qui, en réalité, en est un à durée indéterminée. Contrat après contrat, le plaignant s’attendait à être maintenu au travail et l’employeur s’attendait à ce qu’il y demeure.

(…)

[33] La démission ne se présume pas. Il s’agit d’un geste posé par le salarié qui doit être volontaire, clair et sans équivoque. Dans le présent dossier, le plaignant remet une lettre à l’employeur en mai indiquant qu’il a pris la décision de ne pas revenir au travail puisqu’il estime que l’offre qui lui a été faite quant à la modification de ses conditions de travail est inacceptable. Il faut donc déterminer si les modifications imposées constituent un congédiement déguisé.

(…)

[40] En février et mars 2023, il travaille de la maison et s’absente à la suite d’un diagnostic de cancer. En avril, il discute avec l’employeur d’un éventuel retour au travail. Plusieurs propositions sont échangées entre le président et le plaignant. Au terme de ces discussions, l’employeur lui offre de travailler sur un nouveau projet et de vendre uniquement et sans exclusivité les roulottes de parc de marque Woodland. Il perd ses droits à l’égard de sa clientèle et on lui propose un bureau séparé des autres vendeurs et loin des clients. Le plaignant estime que cette proposition entrainerait une diminution importante de ses revenus. En 2022, le plaignant a eu des revenus d’environ 150 000 $. Avec la proposition de l’employeur, il estime qu’au mieux cela lui permettrait de faire entre 20 000 $ et 30 000 $.

[41] Dans tous les scénarios envisagés, l’employeur ne propose pas au plaignant de renouveler son contrat aux mêmes conditions que celles qui prévalaient en 2022. Pourtant, le plaignant mentionne être « prêt à fournir le même effort qu’avant ». Aucune explication ne permet de comprendre pourquoi ce scénario n’a pas été offert au plaignant outre le fait qu’il soit malade.

[42] Le Tribunal conclut que les changements proposés au plaignant quant aux conditions de vente et aux commissions constituent une modification substantielle des conditions essentielles de son contrat de travail. Une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que le plaignant, aurait eu la même analyse de la situation.

[43] Estimant que les conditions proposées sont inacceptables, il remet sa démission au mois de mai 2023. Cette décision est prise à contrecœur. Le plaignant a l’impression qu’il s’est fait remplacer puisque l’employeur pensait qu’il ne reviendrait pas. La démission du plaignant n’a pas été faite de manière libre et volontaire. Elle est plutôt en réaction aux modifications substantielles que l’employeur lui impose quant à ses conditions de travail. Les changements quant aux conditions de vente le priveraient d’une capacité de gain importante. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut que le plaignant a fait l’objet d’un congédiement déguisé.

(…)

[50] Tout d’abord, le plaignant a remis à l’employeur un certificat médical daté du 8 février 2023 l’autorisant à retourner au travail selon ses capacités. Si l’employeur jugeait le billet médical incomplet ou qu’il refusait un retour à temps partiel ou de manière intermittente, il lui appartenait de le dire clairement au plaignant et d’exiger un billet médical attestant de son aptitude au travail à temps complet, ce qu’il n’a pas fait.

(…)

[52] L’employeur n’a pas rencontré son fardeau de démontrer que la modification des conditions de travail du plaignant était justifiée par une autre cause juste et suffisante. Le plaignant a donc fait l’objet d’une pratique interdite.

(…)

[57] Pour conclure à la continuité du service continu, la preuve doit démontrer un engagement mutuel à maintenir le lien juridique d’emploi entre les différentes périodes de travail. Or, dans le présent dossier, la preuve démontre que les contrats se sont succédé d’année en année sans une réelle interruption. Le plaignant précise qu’il part habituellement en congé de la mi-octobre à la mi-février, mais les contrats sont d’une durée d’un an. Il n’y a donc pas de rupture de la relation d’emploi pendant cette période. Le plaignant avait une expectative que son contrat serait renouvelé chaque année comme ce fut le cas depuis les dix dernières années.

[58] Dans les circonstances, le Tribunal conclut que le plaignant bénéficiait de plus de deux ans de service continu et que sa plainte est recevable à cet égard.

(…)

[65] Dans le présent dossier, le plaignant précise que, selon lui, la réintégration est impossible. Les arguments au soutien d’une telle demande sont essentiellement la manière dont l’employeur a mis fin à la relation d’emploi. Or, les discussions entre les parties sont demeurées cordiales et respectueuses et faciliteront le rétablissement du lien de confiance. Dans le contexte de la présente affaire, cela ne suffit donc pas à démonter un obstacle réel et sérieux à la réintégration.