Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une récente décision rendue par le Tribunal administratif du travail, Bédard c. Laval Construction inc., une employée soumet deux plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT), alléguant avoir été congédiée, d’une part, en raison d’une absence pour cause de maladie, et, d’autre part, sans cause juste et suffisante. L’employeur soutient plutôt qu’en raison d’un bris du lien de confiance qui l’unissait à l’employée, il était justifié de déroger au principe de gradation des sanctions et d’imposer un congédiement immédiat.
Dès son embauche en 2019, la plaignante occupe un poste important au sein de l’administration de l’entreprise, avec un accès exclusif aux identifiants des comptes de l’employeur.
À l’été 2021, Mme Jobin, conseillère en ressources humaines, est recrutée pour gérer les dossiers de santé et de sécurité au travail. Un conflit éclate rapidement entre la plaignante et Mme Jobin, la première voyant ses responsabilités réduites. Ce conflit s’aggrave lorsque Mme Jobin assigne le fils de la plaignante, manœuvre au sein de l’entreprise, à des tâches adaptées à ses limitations à la suite d’un accident de travail. En effet, la plaignante conteste cette décision et commence à intervenir de plus en plus dans le dossier de santé de son fils. M. Gravel, son employeur, convoque la plaignante et lui demande de cesser ses interventions. Le lendemain, celle-ci s’absente pour maladie. Dès lors, M. Gravel lui demande les codes d’accès afin de pouvoir effectuer les opérations courantes, ce qu’elle refuse de faire.
Quelques jours plus tard, des informations confidentielles sur les salaires et primes divulguées par la plaignante à ses collègues sont rapportées au président. Face à ces violations de confidentialité, M. Gravel décide de congédier la plaignante sur-le-champ.
En premier lieu, l’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier une personne salariée pour avoir exercé un droit découlant de cette loi. Lorsqu’il est prouvé que la personne ayant déposé une plainte est 1) salariée au sens de la LNT, 2) qu’elle a exercé un droit qui lui résulte de cette loi et 3) que l’employeur lui a imposé une sanction ou l’a congédiée de manière concomitante, elle est présumée avoir fait l’objet d’une pratique interdite au sens de cette loi. Pour renverser cette présomption, l’employeur doit démontrer que le congédiement de la plaignante repose sur une cause autre, qui soit juste, suffisante et étrangère à l’exercice du droit allégué par la salariée. En l’espèce, la preuve présentée démontre que le congédiement de la plaignante résulte de la perte de confiance de l’employeur envers elle, et non de l’exercice de son droit de s’absenter pour maladie. L’employeur disposait ainsi d’une cause véritable, et non d’un simple prétexte, pour mettre fin à son emploi. La plainte pour pratique interdite est donc rejetée.
En deuxième lieu, l’article 124 de la LNT prévoit qu’un employeur ne peut congédier une personne salariée bénéficiant de deux ans de service continu dans une même entreprise sans justifier d’une cause juste et suffisante. En matière de congédiement disciplinaire, comme en l’espèce, l’employeur doit procéder à une gradation des sanctions avant de congédier une salariée, sauf s’il démontre, notamment, que cette dernière a commis une faute grave. Conformément aux prétentions de l’employeur à ce sujet, le Tribunal est d’avis qu’en raison de la gravité de la faute et de la nature des fonctions de la plaignante, il était justifié de la congédier sans recourir à la gradation des sanctions. La plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante est donc rejetée.
Vu ces conclusions, le Tribunal a jugé inutile de se prononcer sur la question de la réintégration.
Voyez en plus grand détail comme le Tribunal motive sa décision :
L’employeur démontre-t-il que le lien de confiance envers la plaignante est irrémédiablement rompu?
[41] Elle témoigne également qu’il n’existait pas de politique quant à la confidentialité et laisse entendre que comme elle en est à son premier emploi, elle ne connait pas les règles de discrétion ou de loyauté.
[42] Cela ne tient pas la route. L’obligation de loyauté et de discrétion s’applique à tout employé et s’intensifie en fonction du poste occupé; « [l]oyauté et discrétion vont donc ainsi de pair et sont au cœur du rapport de confiance qui s’établit entre l’employeur et le salarié »[7].
[43] Certes, la plaignante n’est pas une cadre de haut niveau, mais elle détient bon nombre d’informations confidentielles et sensibles au sujet de l’entreprise et l’employeur est en droit de s’attendre à de la loyauté et de la discrétion de sa part.
[44] La preuve prépondérante démontre que c’est avec raison que l’employeur perd confiance en la plaignante.
[…]
[53] Ici, la divulgation d’informations sensibles par la plaignante à l’un et l’autre des employés de bureau, à un contremaitre et à son fils ainsi que le dénigrement dont elle fait preuve, font perdre de la crédibilité au président et le rend vulnérable auprès de ses employés.
[54] De plus, la nécessaire confiance devant régner entre le président de l’entreprise et son adjointe administrative justifiait de mettre fin à l’emploi de la plaignante sans procéder à une gradation de sanction.
[55] En ce sens, plusieurs facteurs aggravants entrent en ligne de compte. Le dénigrement ouvert qu’elle manifeste à l’égard de madame Jobin et de monsieur Gravel, le poste de confiance qu’elle occupe, le fait qu’elle travaille seule, sans supervision ou presque, les indiscrétions concernant des informations sensibles et la réticence en lien avec la transmission des mots de passe.
La plaignante a-t-elle fait l’objet d’un congédiement illégal en raison de l’exercice de son droit de s’absenter pour maladie?
[57] La Loi prévoit un recours pour le salarié en cas de congédiement lié à l’exercice d’un droit qu’elle protège :
- Il est interdit à un employeurou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction :
1° à cause de l’exercice par ce salarié d’un droit, autre que celui visé à l’article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d’un règlement ;
[…]
[Nos soulignements]
[58] Ici, la plaignante prétend que son congédiement est le résultat de son absence pour maladie, ce qui constituerait une pratique interdite au sens de la Loi.
[59] En cette matière, la Loi prévoit un mécanisme de présomption[8]. Ainsi, si la plaignante démontre : « son statut de salariée, avoir exercé un droit reconnu par la Loi et avoir été victime d’un congédiement de manière concomitante à l’exercice de ce droit, il y a présomption que le congédiement dont elle est victime lui a été imposé en raison de l’exercice de son droit ».
[60] Ces éléments ne sont pas contestés. La plaignante bénéficie donc de la présomption et il revient alors à l’employeur de prouver que le congédiement résulte d’une autre cause, étrangère au droit protégé par la Loi et qui ne soit pas un prétexte[9].