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Danger pour les employeurs: pas un congédiement déguisé… mais une pratique interdite

17 décembre 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

La décision récente Joyal c. 9211-5773 Québec inc. rappelle aux employeurs l’importance de respecter les recours des employés et de suivre les principes de gradation des sanctions avant de mettre fin à un emploi.

Rémi Joyal était chauffeur pour 9211-5773 Québec inc., une entreprise spécialisée dans le transport en urgence de colis et de marchandises sur palette, depuis le 1er mai 2020. En novembre 2022, son employeur lui a assigné une livraison à effectuer avec un véhicule que M. Joyal n’avait pas l’habitude de conduire. Il a d’abord refusé d’utiliser ce véhicule, invoquant qu’il ne serait pas sécuritaire, mais il a finalement accepté son affectation.

C’est dans ce contexte que M. Joyal a déposé une plainte fondée sur la Loi sur les normes du travail (« LNT »), alléguant un congédiement déguisé en raison de la modification de ses tâches. Après le dépôt de cette plainte, l’employeur a mis fin à son emploi, ce qui a mené à deux autres plaintes : la première pour congédiement illégal, en raison de l’exercice d’un droit protégé par la LNT, soit le dépôt de la première plainte, et la deuxième pour congédiement sans cause juste et suffisante.

L’employeur soutenait que les changements apportés aux tâches du plaignant étaient mineurs et ne pouvaient donc pas constituer un congédiement déguisé. Par ailleurs, pour justifier le congédiement, l’employeur a invoqué plusieurs manquements, affirmant avoir formulé quelques réprimandes verbales à l’égard du plaignant et l’avoir déjà suspendu avec solde. Toutefois, l’employeur a admis que la plainte pour congédiement déguisé avait été l’élément déclencheur de la décision de congédier M. Joyal.

Le Tribunal a rejeté la plainte pour congédiement déguisé, estimant que la modification des tâches n’était ni substantielle ni permanente. Cependant, il a conclu que le congédiement de M. Joyal était illégal, car motivé par l’exercice de son droit de porter plainte. De plus, l’employeur n’a pas démontré l’existence d’une cause juste et suffisante pour justifier la fin de l’emploi. En conséquence, le Tribunal a annulé le congédiement, ordonné la réintégration de M. Joyal et imposé le versement d’une indemnité compensatoire.

 

Voyez comment la juge a justifié sa décision :

Le plaignant a-t-il fait l’objet d’un congédiement déguisé lorsque ses tâches ont été modifiées?

[17] Dans le cas qui nous occupe, on ne peut parler d’une modification substantielle des conditions de travail. En effet, le plaignant n’a conduit cet autre camion qu’une seule journée, sans modification de salaire, d’horaire ou autre. De plus, les faits n’établissent pas que son contrat de travail implique qu’il doit toujours conduire le même type de camion ou véhicule. Au contraire, la responsable des ressources humaines témoigne que les chauffeurs sont affectés aux transports, aux camions ou aux voitures selon les demandes des clients.

[18] Il ne s’agit donc pas d’un cas de congédiement déguisé : la plainte est rejetée.

L’employeur a-t-il congédié le plaignant pour une cause réelle et étrangère au dépôt de la plainte initiale?

(…)

[23] Questionné quant à l’élément déclencheur ayant mené au congédiement, l’employeur admet, deux fois plutôt qu’une, que c’est la réception de la plainte initiale qui le fait agir. « Je l’ai enduré trop longtemps », dit-il.

[24] Il n’en faut pas plus pour convaincre le Tribunal que la réception de la plainte de congédiement déguisé est l’élément qui a provoqué le congédiement.

[25] Certes, il ne s’agit pas du seul motif, mais il y a concouru. Le plaignant n’est en effet pas sans reproche. L’employeur parvient à démontrer qu’il a commis différents manquements, qu’il a été irrespectueux à l’égard des répartitrices et qu’il n’a pas suivi les consignes données.

[26] Cependant, la jurisprudence établit que lorsqu’un motif illégal entre en ligne de compte dans la décision de congédier, le congédiement devient alors illégal. Pour illustrer cette réalité, les décisions rappellent que le fait de ne mettre qu’une seule goutte de poison dans un vase en contamine toute l’eau.

[27] La plainte pour congédiement illégale fondée sur l’article 122 de la Loi est donc accueillie.

L’employeur démontre-t-il une cause juste et suffisante de congédiement ?

[28] Une fin d’emploi basée sur un motif illégal est nécessairement fondée sur un motif injuste et insuffisant.

[29] De plus, en matière de congédiement disciplinaire, on vise à sanctionner les manquements volontaires du salarié liés à son attitude ou à son comportement. La jurisprudence reconnaît qu’en pareil cas, l’employeur se doit de procéder à une gradation de sanctions, ce qui permet au salarié de savoir ce qui lui est reproché et ainsi de s’amender.

[30] Or, dans le présent cas, la responsable des ressources humaines admet qu’on n’a pas procédé à une gradation de sanctions avec le plaignant. Elle témoigne connaître cette règle et qu’elle doit être appliquée avant de procéder au congédiement. Avec le plaignant, les mesures disciplinaires se sont limitées à des avertissements verbaux ainsi qu’une suspension avec solde.

[31] Si l’employeur n’a pas été plus sévère dans ses sanctions, c’est en raison de la rareté de la main-d’œuvre; imposer des suspensions courtes et de plus en plus longues comme le veut la règle ferait en sorte qu’à la première occasion, plutôt que de se corriger, le plaignant aurait, selon la responsable des ressources humaines, quitté son emploi pour en retrouver un autre aussitôt chez un concurrent.

[32] Il n’y a donc pas eu de gradation de sanction et les avertissements pas plus que la suspension avec solde ne sauraient justifier le congédiement du plaignant.

[33] Finalement, rien dans les faits mis en preuve ne démontre que le plaignant a été informé qu’il risquait de perdre son emploi.

[34] La plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante selon l’article 124 de la Loi doit donc aussi être accueillie.

Le cas échéant, la réintégration du plaignant doit-elle être ordonnée ?

(…)

[39] Toutefois, la jurisprudence prévoit que la réintégration demeure la mesure de réparation normale en matière de congédiement fait sans cause juste et suffisante et elle doit être ordonnée, à moins de circonstances exceptionnelles.

[40] Les faits mis en preuve dans la présente affaire sont minces. Tout au plus, le plaignant témoigne qu’il ne se voit par retourner chez un employeur qui le traite comme il l’a été. Cela ne suffit pas à démonter un obstacle réel et sérieux à la réintégration.