Dans une très récente du Tribunal administratif du travail, Morin c. Location Multi-Équipement inc., on tranche un litige opposant un représentant commercial spécialisé dans le domaine de la location d’équipement et son ancien employeur, quant au concept de la démission.
En vertu d’un contrat de trois ans, l’employé et l’employeur sont liés par une entente qui couvre les ventes et l’apport de clientèle. Malgré une bonne collaboration au départ, le climat de travail se dégrade lorsqu’un changement se produit à la tête de l’entreprise. Le service à la clientèle et les livrables en souffrent, de sorte que l’employé, essentiellement attitré à la vente, reçoit de nombreuses plaintes de ses clients de longue date.
Cette situation mène à une escalade des tensions, l’employeur suspendant l’employé pour enquête en réponse à certains propos – ce dernier donnera ensuite sa « démission », mais l’employeur continuera de le payer et déposera une plainte de harcèlement psychologique à son égard, ce qui, aux yeux du juge administratif, confirmera le maintien du lien d’emploi.
L’employé réclame ensuite des sommes dues, et l’employeur le « congédie » à ce moment, menant à deux plaintes, l’une pour pratique interdite et l’autre pour congédiement sans cause juste et suffisante.
Au final, la décision nous permet de reconstater qu’une démission doit toujours être claire et remplir certaines considérations jurisprudentielles. D’en faire fi a ici coûté cher à l’employeur et a mené à une coûteuse réintégration.
Voyez plus spécifiquement la façon dont le juge a motivé sa décision :
[13] Les critères d’appréciation retenus de façon constante par la jurisprudence et la doctrine pour déterminer si nous sommes en présence d’une démission se résument comme suit :
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- La démission comporte à la fois un élément objectif et subjectif;
- La démission est un droit qui appartient à l’employé et non à l’employeur, elle doit donc être volontaire;
- La démission s’apprécie différemment selon que l’intention de démissionner est ou non exprimée;
- L’intention de démissionner ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation;
- L’expression de son intention de démissionner n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé;
- Les conduites antérieures et ultérieures des parties constituent un élément pertinent dans l’appréciation de l’existence d’une démission;
- En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse généralement de conclure à une démission.
[14] Pour conclure à une démission, il faut que le salarié ait manifesté, par des actes positifs et sans équivoque, son intention de démissionner. Si l’ensemble des circonstances révèle une intention de continuer la relation avec l’employeur, on ne peut soutenir qu’il y a démission[3]. Lorsque l’employeur prend l’initiative de la rupture du lien d’emploi, il ne peut également être question de démission.
(…)
[29] À l’audience, monsieur Dessureault explique qu’il avait été jusque-là très tolérant à l’égard de l’attitude négative de monsieur Morin, mais que, cette fois-ci, il avait dépassé les bornes. À cela s’ajoutaient plusieurs plaintes du personnel qui se disait exaspéré par ses incivilités. Après discussion avec monsieur Collin, le directeur des ressources humaines, il est convenu de le suspendre pour fin d’enquête.
[30] Monsieur Morin arrive sur place en mauvaise disposition. Messieurs Dessureault et Laporte lui remettent un avis écrit indiquant qu’il est suspendu sans solde à des fins d’enquête. On lui demande de remettre son cellulaire, son véhicule ainsi que ses cartes de crédit.
[31] Après avoir lu la lettre, il explose et lance des insultes. Il les traite « de clowns ». En colère, il exprime l’idée de démissionner. Il dit « vous voulez que je m’en aille vous voulez que je démissionne où est-ce qu’elle est votre lettre ». Dans leur témoignage, monsieur Dessureault et Laporte affirment qu’ils ont tenté de le dissuader en lui expliquant que leur objectif n’était pas de le congédier.
[32] La discussion se poursuit à l’extérieur et monsieur Morin remet son téléphone ainsi que l’automobile. Monsieur Dessureault constate que le téléphone ne contient plus aucune information. Tout avait été effacé.
[33] Monsieur Collin est rapidement mis au courant de la situation. Le jour même, il envoie un courriel à monsieur Morin:
Il a été porté à mon attention que, le mercredi premier mars, lors d’une rencontre similaire en présence de monsieur Laporte et monsieur Dessureault à nos locaux de Terrebonne, vous avez remis votre démission verbalement.
Par la présente nous accusons réception et acceptant votre démission votre pourcentage final paye de vacances et autres sols vous seront transmis et votre relevé d’emploi avec la mention départ volontaire sera cheminé directement un service Canada dans les 7 jours ouvrables suivant votre dernière paye
[Transcription textuelle]
[34] Ce sont les propos que monsieur Morin a tenus lors de la rencontre du 1er mars qui ont amené l’employeur à conclure qu’il a démissionné.
[35] L’analyse cependant ne s’arrête pas.
[36] Il ne s’agit pas, comme le prétend l’employeur, d’une décision qui est le fruit d’une réflexion. La volonté de démissionner est exprimée sous l’effet de la colère. Le Tribunal doit faire preuve de prudence lorsque la volonté de démissionner est verbalisée sous l’impulsion d’une charge émotive. Soulignons à ce propos ce que nous enseigne la jurisprudence:
[17] […] L’intention de démissionner peut-être viciée si elle s’exprime sous le coup de la colère et de l’émotion et, pour cette raison, il faut chercher l’intention véritable du salarié, à la lumière des faits survenus postérieurement à celle-ci, et ce, dans le contexte de l’affaire.