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Six mois d’indemnité de départ pour trois ans d’emploi d’une DG et congédiement déguisé

16 août 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans Poulin c. Groupe Ma Clinique inc., une décision récente de la Cour supérieure du Québec, une directrice générale prétend subir un congédiement déguisé après trois ans d’emploi. Son employeur est un groupe de cliniques médicales d’une forme corporative relativement complexe, ce qui ne nous intéresse pas pour les fins de ce billet.

La directrice générale n’est jamais formellement congédiée et la défenderesse argue qu’elle est partie de son propre chef ce qui, évidemment, ne nécessiterait pas le paiement d’une indemnité de départ. Les loyaux et compétents services de la DG ne sont pas mis en cause. Au cours de son emploi, elle renoncera même à percevoir des parties de son salaire puisque l’entreprise est souvent en difficultés financières.

Au final, ces difficultés seront importantes au point qu’on doive discuter d’une diminution de salaire de la DG, une composante essentielle de son contrat de travail. Celle-ci estime que la fin est proche. Le juge assimile la situation à un congédiement déguisé :

 

 

[64]        Le sentiment d’être désavantagée financièrement dans GMC, ressenti par Mme Poulin, trouve d’ailleurs écho dans les propos du Dr Robitaille au cours du mois de mars 2018 (P‑21 et P-37) lorsqu’il indique comprendre les insécurités des deux actionnaires de GMC que sont Mme Poulin et Dr Meunier, face aux transferts monétaires effectués en faveur du GMF.

[65]        Aux alentours du mois de janvier 2018, Mme Poulin commence par ailleurs à s’interroger sérieusement sur son avenir à titre de directrice générale au sein de l’organisation.

[66]        Déjà, son salaire est inscrit aux sujets dont il doit être discuté afin de réduire les dépenses de GMC[14].

[67]        Lors de la réunion des administrateurs du 17 mai 2018, il est spécifiquement discuté du fait que Mme Poulin n’a pas reçu son salaire depuis un certain temps, ainsi que des moyens à envisager afin de payer ce poste, y compris lui trouver une autre source de revenus[15]. Cette dernière comprend dès lors qu’une coupure de son poste fait partie des solutions envisagées[16].

[68]        Un questionnement similaire est soulevé lors de la réunion des administrateurs de GMC, tenue le 31 mai 2018, lorsque la question du salaire de Mme Poulin est abordée et que des alternatives sont envisagées, dont des emplois auprès de tiers employeurs[17].

[69]        La réunion du 6 juin 2018[18], où sont présentés les états financiers de GMC et MCL, vient réitérer l’incapacité de GMC d’assumer un salaire annuel de 150 000 $ pour Mme Poulin. Après la présentation des états financiers, celle-ci quitte rapidement la réunion avec la ferme conviction que son poste de DG est sérieusement en jeu.

[70]        Cette même appréhension est à toutes fins pratiques confirmée par la lettre que lui adresse Dre Guimont, au nom d’elle-même et des autres actionnaires, le 7 juin 2018, dont il convient ici de citer quelques extraits :

« Personne dans le groupe cherche à se chicaner et personne ne souhaite ton départ comme actionnaire. Sois-en assurée. Par contre, comme administrateurs et actionnaires de GMC, nous ne pouvons faire autrement que de constater que les finances actuelles de Vision SEC et de GMC ne permettent pas de payer ce type de salaire

En fonction du résultat de nos discussions, nous sommes aussi disposés à te laisser du temps en attendant que tu trouves d’autres sources de revenus[19] 

(Notre soulignement)

[71]        Sauf pour compléter certains documents pour une durée d’environ une heure le 11 juin suivant[20], le lien d’emploi entre GMC et Mme Poulin est à toutes fins pratiques rompu.

[72]        Face à un changement d’importance dans ses conditions d’emploi, Mme Poulin soumet avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé le 6 juin 2018.

[73]        Les défendeurs nient, puisqu’à cette même date, aucune décision n’a encore été prise par la majorité des administrateurs quant à son sort, et ce, autant pour son salaire que pour ses fonctions à venir.

[74]        Le départ précipité de Mme Poulin, le 6 juin 2018, peut effectivement amener certaines personnes à croire que celle-ci a purement et simplement démissionné.

[75]        Il n’en est rien. L’ensemble des discussions entre les parties, le contexte qui prévaut depuis plusieurs mois, autant sur le plan  financier que familial[21] , de même que le témoignage de Mme Poulin lors de l’audience, laissent voir que nous sommes ici en présence d’un « congédiement déguisé » au sens où le reconnaît la jurisprudence[22].

[76]        Même si,  comme le prétendent les défendeurs, aucune décision définitive n’avait encore été prise, il est évident que les conditions de travail de Mme Poulin seraient substantiellement modifiées, autant pour ses tâches[23] que pour son salaire.

 

 

Le juge établit à 6 mois la durée du délai de congé qu’elle doit recevoir, en appliquant les critères connus et reconnus, dont nous faisons souvent état ici:

 

 

[86]        Si Mme Poulin ne peut ainsi toucher une indemnité-congé équivalente à une perte de revenus entre le 6 juin 2018 et le 31 décembre 2021, en l’absence d’un contrat à durée  déterminée,[28]elle doit tout de même pouvoir bénéficier d’une indemnité pour valoir un délai-congé raisonnable[29].

[87]        La durée de son emploi, soit un peu plus de trois ans, la nature des fonctions occupée au sein de GMC, l’ampleur du travail qu’elle a accompli, l’absence de vacances durant presque toute cette période, sauf en mars 2018, l’abandon d’un emploi bien rémunéré chez Bell, tout en prenant en considération l’absence de preuve quant à la recherche d’un autre emploi, amènent le Tribunal à lui accorder un délai-congé de six (6) mois[30].