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Un employé ne peut demander sa réintégration par voie d’ordonnance de sauvegarde dans un recours en oppression

26 août 2022

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans Fournier c. 11890441 Canada inc., une décision récente de la Cour supérieure, on confirme qu’un employé ne peut être réintégré par la voie des tribunaux de droit commun, un résultat possible qui provient habituellement de l’application de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, et qui est ainsi du ressort du Tribunal administratif du travail.

Dans la cause qui nous occupe, l’employé demande sa réintégration pendant une instance d’arbitrage, déclenchée par une convention unanime d’actionnaires. Le juge conclut que le congédiement n’est pas en soi oppressif au sens de la LCSA et doit donc étudier la demande de réintégration à la lumière des règles du Code civil – ici l’article 2091, dont nous parlons plus souvent qu’autrement dans ce blogue.

Bien que le demandeur ne satisfasse à aucun des critères de l’ordonnance de sauvegarde, celui qui nous intéresse est l’apparence de droit, qui est généralement étudié en premier. Les enseignements de l’arrêt Rippeur trouvent ici leur application :

 

 

[57]        Or, le Code civil du Québec prévoit qu’un employeur a le droit de rompre unilatéralement et discrétionnairement un contrat de travail à durée indéterminée comme en l’espèce[30]. En l’absence d’un régime spécifique applicable, le recours en « nature », soit la réintégration d’un emploi, est inexistant devant les tribunaux de droit commun :

  1. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.

  1. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.

[58]        Bref, en vertu du Code civil du Québec, le droit à la réintégration dans un emploi n’est pas un remède disponible.

[59]        Dans l’arrêt Rippeur[31], la Cour d’appel nous enseigne :

[49] Sur le deuxième moyen, la SCP plaide que la réintégration n’est pas une réparation possible en vertu du Code civil du QuébecCette prétention me semble tout à fait fondée puisque notre code civil, à la différence des lois particulières comme le Code canadien du travail, la Loi sur les normes du travail et le Code du travail, consacre aux articles 2091 et 2094 la faculté de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat de travail à durée indéterminée moyennant un préavis suffisant ; ces dispositions permettent de rompre définitivement ce lien d’emploi et écartent l’obligation de réintégrer.

[Soulignements ajoutés et références omises]

[60]        En première instance[32], le juge André Roy s’était exprimé ainsi à ce sujet :

[68] Ce pouvoir discrétionnaire de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée par l’employeur à la condition de donner un délai de congé d’une durée raisonnable ou de verser une indemnité en tenant lieu est depuis longtemps consacré et il a été à maintes reprises réitéré par les tribunaux supérieurs.

[69] De ce fait, en vertu du Code civil du Québec, un tribunal civil ne peut ordonner à un employeur d’exécuter en nature les obligations qui découlent du contrat de travail à durée indéterminée.

[70] Si le législateur a reconnu ce pouvoir à plusieurs décideurs administratifs (on pense ici à l’arbitre de grief ou à la Commission des relations de travail), il a choisi de ne pas le faire à l’égard des tribunaux de droit commun saisis d’un recours en vertu de l’article 2091 C.c.Q.

[Soulignements ajoutés]

[61]        Ainsi, dans la mesure où un employeur peut légitimement mettre fin au contrat d’emploi en vertu du Code civil du Québec, un tribunal civil ne peut pas ordonner à un employeur la réintégration de l’employé. Il doit se limiter à lui accorder les remèdes financiers applicables, le cas échéant.[33]

[62]        Dans le présent cas, le Tribunal n’a pas à déterminer sur le fond si le congédiement du Demandeur était réellement fondé ou non sur des motifs sérieux tels que ceux plus amplement décrits en détail dans la Lettre de congédiement du 30 mai 2022.[34]

[63]        Cette tâche relève du tribunal d’arbitrage à qui les parties ont convenu de confier ce mandat.

[64]        Mais, sans pour autant lier de quelque façon que ce soit le tribunal d’arbitrage, le Tribunal considère qu’aux fins des présentes, les motifs de congédiement énoncés dans la Lettre de congédiement et en particulier, ceux liés au Litige Amacor apparaissent fort sérieux, prima facie.

[65]        Le Tribunal ajouterait qu’en fonction de la preuve documentaire présentée au soutien de la Demande de sauvegarde, la Lettre de suspension suivie de la Lettre de congédiement ne permet pas au Tribunal d’y déceler des manœuvres oppressives commises par les Défendeurs à l’endroit du Demandeur qui demeure à ce jour administrateur de Canada inc.     

[66]        Enfin, en termes d’attentes raisonnables, le Demandeur ne pouvait pas s’attendre à demeurer en poste indéfiniment à titre de Chef des Technologies, surtout à la lumière des dispositions applicables de la CUA et de son Contrat d’emploi, ce dernier prévoyant à l’article 13.1 que la relation d’emploi peut prendre fin (i) à tout moment pour motif sérieux[35] ou (ii) à tout moment, à l’entière discrétion de la Société, et ce, sans motif sérieux[36].

[67]        En conclusion, M. Fournier ne satisfait pas le critère de la forte apparence de droit à être réintégré dans son poste : le congédiement de M. Fournier ne s’inscrit pas dans le cadre d’un plan de conduite oppressive.

[68]        Ainsi, rien ne justifie ici que la jurisprudence constante des tribunaux en matière de réintégration d’un employé en fonction des dispositions du Code civil du Québec soit mise de côté dans la présente instance.