Par Me Paul-Matthieu Grondin
Une cause en révision du Tribunal administratif du travail, dans laquelle une hygiéniste dentaire est congédiée sans cause juste et suffisante, nous permet de bloguer au sujet d’un bon résumé jurisprudentiel des interconnexions entre la LNT et le CCQ.
Il arrive souvent que les non-initiés se demandent pourquoi il y a un recoupement entre l’article 2091 du Code civil du Québec, qui gère la question du délai de congé (plus communément « l’indemnité de départ ») et qui semble permettre de mettre fin à tout contrat moyennant un préavis et, par exemple, l’article 124 de la Loi sur le normes du travail, qui empêche le congédiement sans cause juste et suffisante, sous peine de réintégration.
Or, la cause qui nous occupe nous permet de démêler les deux, en comprenant que les deux recours coexistent. Il est souvent utile pour le travailleur de mettre une certaine pression par la plainte en 124, alors que le règlement peut, grosso modo, épouser les contours de l’article 2091 du Code civil du Québec, s’il n’y a pas souhait commun de réintégration :
[11] Pour l’Employeur, que la Plaignante soit congédiée pour une cause juste et suffisante ou pas, importe peu. L’article 2091 du C.c.Q lui permet de résilier, modifier et ajuster un contrat de travail à durée indéterminée, notamment même d’y mettre fin sans pour autant avoir de motifs suffisants pour rompre le lien d’emploi. Du moment où il verse le préavis, ses obligations sont éteintes.
[12] Pour l’Employeur, TAT-1 a commis un vice de fond important en déterminant qu’il devait avoir une cause juste et suffisante pour mettre fin à la relation d’emploi, même s’il a donné le préavis prévu au C.c.Q.
[13] La Plaignante soutient que TAT-1 a correctement appliqué les principes en la matière, notamment en concluant que le C.c.Q ne l’empêchait pas de soutenir qu’elle avait fait l’objet d’un congédiement sans cause. Elle réfère au paragraphe de la Décision.
[41] Quant à l’article 2091 du Code civil, qui prévoit que chaque partie à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre partie un délai-congé, auquel fait référence l’employeur, il n’est d’aucune utilité en l’espèce. Le délai-congé du Code civil et l’avis de cessation d’emploi prévu à l’article 82 de la LNT n’ont pas pour effet d’empêcher un salarié qui se qualifie au sens de l’article 124 de déposer une plainte auprès de la Commission qui, si elle est accueillie, pourra mener à l’annulation du congédiement, et, sauf exception, à la réintégration de celui-ci.
[Notre soulignement]
[14] Pour le Tribunal, la prémisse du raisonnement de l’Employeur est erronée. Il considère que le Code civil s’interprète en vase clos et a préséance sur la LNT, cela est inexact.
[15] La LNT établit certains recours lorsqu’une personne est congédiée. Ces derniers doivent être lus et interprétés avec ceux du C.c.Q. Par exemple, si le congédiement est pour un motif prohibé par l’article 122 de la LNT (enceinte, saisie de salaire, etc.), il sera illégal. De la même manière si en vertu de l’article 124 de cette loi, il est fait sans cause juste et suffisante, le congédiement peut être annulé.
[16] Lorsque l’Employeur cite un extrait du livre Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e édition, Éditions Yvon Blais, il occulte la phrase suivante :
“Ainsi, en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec son employeur peut résilier unilatéralement son contrat en tout temps, même sans aucune raison, à la seule condition de fournir un délai de congé raisonnable ou une indemnité en tenant lieu et dans la mesure ou l’employeur n‘abuse pas de son droit de résilier le contrat.”
[Notre soulignement]
[17] Il faut comprendre de ce bout de phrase que ce n’est pas parce que l’Employeur verse un préavis prévu au C.c.Q. qu’il s’exonère de ses obligations à la LNT. Il ne peut pas simplement mettre fin au contrat de travail sans motif suffisant ou pour des motifs jugés illégaux en payant un préavis. Dans Châteauguay Toyota c. Couture[7] la Cour supérieure résumait bien ces principes.
- a) Le Code civilénonce les principes généraux du droit;
- b) Le Code civilest, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne, la loi fondamentale du Québec car il est l’expression du droit commun;
- c) En principe, le Code civilconstitue le fondement des autres lois et s’applique à toute situation juridique, à moins qu’une autre loi ajoute ou déroge au Code;
Il apparaît que cet énoncé général constitue la prémisse de base à l’étude des questions soulevées dans la présente affaire. À moins de dérogation, les dispositions du Code civil s’appliquent à toutes les situations juridiques quelles qu’elles soient.
- Le Code civilprévoit des dispositions précises pour définir et régir le contrat de travail, et ce notamment aux articles 2085, 2086, 2091 et 2092 qui se lisent comme suit:
[…]
« 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. »
[…]
- De ces textes, il est permis d’affirmer qu’en vertu du Code civil:
- a) un employeur peut mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée sans donner d’explication ou encore sans justifier sa décision, à moins que le congédiement ne se fasse de façon abusive;
- b) la seule obligation de l’employeur est de donner à son employé un délai de congé qui soit raisonnable en tenant compte des circonstances. En vertu du Code, le salarié n’a pas droit à d’autre compensation suite à un congédiement.
- Le contrat de travail, comme tous les autres contrats, est soumis à l’ensemble des dispositions pertinentes du Code, dont notamment les dispositions du livre cinquième concernant les obligations et en particulier l’article 1479 qui impose à un créancier l’obligation de minimiser les dommages.
- La preuve révèle qu’un contrat de travail pour une durée indéterminée existait entre la requérante et la mise en cause depuis une quinzaine d’années. La requérante a mis fin à ce contrat en congédiant la mise en cause. Celle-ci avait droit d’abord aux recours prévus par le Code civil, c’est-à-dire à un délai de congé; ce recours est normalement exercé devant les tribunaux de droit commun (voir article 2091C.c.Q.)
- C’est ici qu’intervient l’article 124 de la Loi des normes du travail, cité plus haut. Cet article confère à un salarié qui a une durée de service de plus de trois années continues une sorte de sécurité d’emploi. L’employeur ne peut plus, sans raison ni justification, congédier son employé. Il doit être en mesure de démontrer que le congédiement a été fait pour une cause juste et suffisante.Selon l’article 125, la Commission peut même exiger de l’employeur qu’il soumette par écrit les motifs du congédiement.
Vu dans cette perspective, cet article 124 vient ajouter au contrat de travail du Code civil, il ne le supprime pas. Ce contrat demeure, mais le salarié bénéficie des avantages que lui confère la Loi sur les normes du travail. Parmi ces avantages, il y a la faculté de se faire réintégrer ou encore de recevoir une compensation plus généreuse que celle prévue au Code civil.
[Nos soulignements]
[18] Le raisonnement de l’Employeur conduit à un non-sens. Prenons la Charte des droits et libertés de la personne[8], elle prohibe la discrimination pour l’un des motifs énoncés.
- Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[19] Ainsi, si on appliquait les prétentions de l’Employeur, le simple fait de payer un préavis en vertu du Code civil viendrait cautionner un congédiement qui aurait été fait pour un motif prohibé par la Charte des droits et libertés ou par la LNT. Cela est contraire à l’intention du Législateur.
[20] Le Législateur a déterminé qu’un employeur doit avoir des raisons suffisantes pour mettre fin à l’emploi d’un salarié, notamment lorsque ce dernier a plus de deux années de service continu. Particulièrement pour éviter toutes les machinations possibles, il a aussi prévu aux articles 96 et 97 de la LNT que le nouvel employeur est lié aux obligations de l’ancien. C’est exactement ce que TAT-1 a analysé. Il n’y a pas de faille dans son raisonnement.
[34] La preuve révèle que la plaignante est liée par un contrat à durée déterminée avec le prédécesseur pour la période du 15 juillet 2015 au 15 juillet 2018. Or, à l’échéance, ceux-ci ne l’ont pas renégocié et la plaignante est demeurée en poste pour exercer son travail régulier, et ce, au-delà de la période de cinq /ours prévue à l’article 2090 du Code civil. Ainsi, à compter du 21 juillet 2018, le prédécesseur et éventuellement l’employeur sont liés à la plaignante par un contrat à durée indéterminée.
[…]
[45] La vente de la clinique dentaire R. Morin inc. à l’employeur n’affecte en rien l’accumulation du service continu de la plaignante. Rien ne permet de croire que nous sommes en présence d’une autre entreprise. Au contraire, il s’agit d’une transaction impliquant des sociétés appartenant à des dentistes visant l’exploitation et le maintien des activités d’une clinique dentaire située à la même adresse civique avec les mêmes équipements et le même personnel alors en place.
[46] Or, cette vente n’a aucun effet sur l’application des normes du travail prévues à la LNT. Il existe un lien de droit entre le prédécesseur et l’employeur. En faisant l’acquisition de la clinique dentaire, ce dernier devient partie prenante notamment au contrat de travail de la plaignante et il est tenu de le respecter comme s’il en avait
lui- même négocié les termes.
[47] L’article 97 de la LNT trouve donc application. Par conséquent, le service continu de 28 années accumulées par la plaignante lui permet de déposer un recours en vertu de l’article 124 de la même loi.
[21] Cet argument doit être rejeté.