Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans une décision de la Cour supérieure, Maislin c. Groupe Boutin inc., deux hauts gestionnaires et dirigeants comptant notamment 33 et 22 ans d’expérience au sein de la compagnie de transport familiale poursuivent leurs nouveaux employeurs pour leur congédiement. Le jugement est touffu, mais essentiellement on comprend que les deux gestionnaires ne se sont jamais pleinement intégrés à une nouvelle compagnie, après la déroute de leur compagnie familiale, leur style de gestion étant en cause.
Deux questions nous intéresserons quant à ce jugement, la première dont nous traitons ici et la deuxième fera l’objet d’un billet subséquent.
On doit tenir en compte l’expérience chez un employeur précédent dans le calcul de l’indemnité de départ si le nouvel employeur a essentiellement débauché l’employé de son poste précédent, par un démarchage plus ou moins agressif. Or, dans le cas qui nous occupe, le problème des demandeurs se situe plutôt au niveau de leur qualification à titre d’employés. En effet, bien qu’ils aient clairement été employés dans la nouvelle compagnie, ils ne l’étaient pas dans leur compagnie familiale, ce qui fait échec au principe de leur expérience préalable dans le calcul de leur indemnité de départ.
Dans les mots du juge :
[162] Tel qu’il appert des faits relatés ci-haut, et après avoir entendu la preuve, le Tribunal ne peut que conclure que très peu de critères identifiés par le Juge Lalonde dans l’affaire Leclerc c. Constructions Louis-Seize & Associés inc. sont rencontrés pour conclure en l’existence d’un lien de subordination, tant en ce qui concerne M. Alan qu’en ce qui concerne M. Jonathan.
[163] En fait, seuls les critères des retenues à la source et avantages sociaux, du statut déclaré dans les déclarations de revenus et de l’exclusivité des services pour Maisliner existaient.
[164] Mais aucun des critères suivants n’existaient : la présence obligatoire au travail, le respect de l’horaire de travail, le contrôle des absences aux fins de vacances, la remise de rapports d’activité, le contrôle de la quantité et de la qualité de travail, l’imposition des moyens d’exécution du travail et le pouvoir de sanction sur les performances.
[165] Il est apparu évident pour le Tribunal que personne ne supervisait et encadrait le travail de M. Alan, lequel se rapportait, en principe, à M. Jonathan et au C.A. de Maisliner, ni le travail de M. Jonathan, lequel se rapportait, en principe, au C.A. de Maisliner.
[166] Tel que déjà mentionné, le C.A de Maisliner était composé de quatre (4) membres, soit M. Alan, M. Jonathan, M. Morrie et Gloria Maislin.
[167] Il n’y a aucune preuve au dossier quant à quelque réunion ou résolution écrite du C.A. de Maisliner aux fins de procéder à l’évaluation des rendements de M. Alan et de M. Jonathan, ni d’ailleurs pour analyser la situation opérationnelle de Maisliner ou les prévisions futures.
[168] D’ailleurs, une évaluation du rendement de M. Jonathan ou de M. Alan par le C.A. de Maisliner n’aurait pu qu’être factice et créer des situations très conflictuelles, étant donné que M. Morrie, le frère de M. Alan et l’oncle de M. Jonathan, n’avait alors plus aucune implication dans Maisliner, que Gloria Maislin, l’épouse de M. Alan et la mère de M. Jonathan, n’y a jamais été impliquée, et que M. Jonathan, à titre de président de Maisliner, était celui qui, apparemment, évaluait, en premier lieu, le rendement de son père, M. Alan, l’actionnaire majoritaire de Maisliner.
[169] Si de telles évaluations de rendement avaient ainsi eu lieu, ce qui n’est aucunement en preuve, elles auraient été l’exemple patent du non-respect des règles les plus élémentaires de bonne gouvernance.
[170] Il ne fait aucun doute pour le Tribunal que toute mention à l’effet que M. Jonathan se rapportait au C.A. de Maisliner et que M. Alan se rapportait à M. Jonathan, le président de Maisliner, et au C.A. de Maisliner, ne correspond nullement à ce qui se passait.
[171] Il n’y a aucune preuve à cet effet, aucune description écrite de tâches, aucun rapport d’évaluation, seulement les témoignages des deux intéressés, M. Alan et M. Jonathan, quant au fait que M. Jonathan se rapportait au C.A. de Maisliner, et que M. Alan se rapportait à M. Jonathan et au C.A. de Maisliner.
[172] Qu’une personne soit inscrite sur la liste des employés de Maisliner et que sa rémunération soit sujette aux déductions à la source fédérale et provinciale n’en font définitivement pas pour autant un salarié de Maisliner au sens de l’article 2085 C.c.Q.
[173] Tel qu’expliqué ci-haut, il faut beaucoup plus, et chaque cas doit être analysé suivant les faits pertinents pouvant permettre une telle constatation, et ce, peu importe les écrits entre les parties, lesquels ne peuvent changer ce qui se passe en réalité.
[174] Le Tribunal ne peut que conclure qu’aucun des critères essentiels mentionnés ci-haut aux fins d’appuyer l’existence d’un lien de subordination ne se retrouve dans la relation entre M. Allan et Maisliner, et entre M. Jonathan et Maisliner.
[175] Bref, M. Alan et M. Jonathan n’étaient nullement encadrés et supervisés, et aucun lien de subordination n’existait à leur égard, critère essentiel afin d’être qualifié de salarié au sens de l’article 2085 C.c.Q.
5.1.3 Conclusion
[176] M. Alan et M. Jonathan n’étaient donc pas des salariés de Maisliner au sens de l’article 2085 C.c.Q. et, par conséquent, leurs années de service auprès de Maisliner ne peuvent pas être prises en considération dans le calcul de l’indemnité de Délai-congé que leur doit Groupe Boutin aux termes des articles 2091 et 2097 C.c.Q.