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On peut amender une procédure visant des clauses restrictives en matière d’emploi pour y ajouter une réclamation pour un préavis raisonnable

11 novembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

 

Dans une décision sur des éléments essentiellement procéduraux, la Cour supérieure établit dans FLS Transportation c. Fuze Logistics une connexité suffisante entre le préavis raisonnable que doivent donner des employés et une cause qui portait à l’origine plus largement sur des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation, et permet ainsi l’amendement en cours d’instance.

Les défenderesses s’opposent donc ici à une série d’amendements qui sont proposés par la demanderesse pour différents motifs. Celui qui nous occupe serait un manque allégué de rapport suffisant entre des prétendues violations de clauses de non-concurrence et de devoir de loyauté d’une part, et une nouvelle cause de réclamation qui viserait un préavis.

La juge accorde la demande d’amendement :

 

 

[28]        Aux paragraphes 115.1 à 115.4, FLS allègue des faits au soutien de sa théorie de l’action concertée des défendeurs, ajoutant que ceux-ci ne lui ont fourni aucun préavis de fin d’emploi. Elle modifie également ses conclusions pour réclamer de chaque individu le paiement de dommages-intérêts en compensation de l’absence de préavis.

[29]        Les défendeurs contestent ces ajouts au motif qu’il en résulte une demande entièrement nouvelle. Ils font valoir qu’alors que la réclamation initiale concernait de prétendues violations de clauses de non-concurrence ainsi que du devoir de loyauté, la nouvelle mouture de la demande fait intervenir une tout autre notion sans aucune connexité. Ils ajoutent que cela retardera le déroulement de l’instance, par la production possible de défenses écrites.

[30]        FLS plaide qu’en vertu de l’article 2091 C.c.Q, un employeur peut réclamer à un ancien salarié des dommages-intérêts pour absence de délai de congé raisonnable[3]. Elle soutient également qu’il ne s’agit pas d’une demande entièrement nouvelle.

[31]        De l’avis du Tribunal, bien que la question du préavis raisonnable constitue un chef de réclamation additionnel, on ne peut conclure que cela se traduit par une demande « entièrement » nouvelle, sans connexité avec la demande initiale. Qu’il s’agisse des clauses de non-concurrence, du devoir de loyauté, ou du préavis raisonnable, la réclamation découle de la même source de droit, soit la relation d’emploi entre FLS et les défendeurs individuels. Pour paraphraser l’analyse nuancée du juge Lukasz Granosik, j.c.s., dans l’affaire Développement Olymbec[4], les modifications proposées par FLS « ne visent pas une cause d’action différente, mais un redressement différent, toujours lié à la même problématique factuelle et juridique »[5]. Ainsi, ces modifications n’introduisent pas une demande « entièrement » nouvelle :

[23] Le Tribunal ne néglige pas les arguments d’Avanti concernant le contrat judiciaire matérialisé par le protocole de l’instance, ainsi que la volonté déclarée d’Olymbec de continuer de procéder avec sa demande d’injonction seule, réitérée en mai 2016, et les considère pour déterminer si la modification est contraire aux intérêts de la justice. Or, étant donné l’étape du litige et le moment dans le temps où la modification est demandée, la nature de celle-ci et le constat que de toute évidence il ne s’agit pas d’une demande entièrement nouvelle, le Tribunal considère que cette modification doit être autorisée.

[24] L’utilisation de l’adverbe entièrement par le législateur à l’article 206 C.p.c. doit avoir un sens. Ce mot a comme synonymes intégralement, complètement, à 100%, absolument. En conséquence, la conclusion qui s’impose est qu’il suffit d’un point de rattachement à la demande originelle afin qu’il ne puisse s’agir d’une demande entièrement nouvelle et afin qu’elle soit permise à titre de modification de la procédure.

[25] Enfin, en ce qui concerne les principes directeurs de la procédure articulés aux articles 18, 19 et 20 C.p.c., le Tribunal estime qu’il est dans l’intérêt de la justice et demeure conforme aux principes de la transparence et de la proportionnalité que ce débat déjà entamé entre les antagonistes continue et soit résolu de façon complète, alors que la source de droit réclamé est la même, quel que soit le redressement recherché par Olymbec.

[26] Ainsi, en application du principe de la proportionnalité, le Tribunal est d’avis que les délais et les coûts occasionnés par la modification demandée par Olymbec seront sans aucun doute moins importants que si Olymbec déposait – alors que rien ne l’empêche – une nouvelle action en justice, en dommages-intérêts contre Avanti.[6]