Par Me Paul-Matthieu Grondin
Nous recensons aujourd’hui une décision intéressante du Tribunal administratif du travail, Beaulieu c. Compagnie mutuelle d’assurance en église, qui rejette un moyen préliminaire selon lequel un travailleur et un employé auraient été liés par une transaction.
Le directeur général de ladite compagnie d’assurance est remercié de ses services après plus ou moins 10 ans à l’emploi. Son contrat prévoit une indemnité de départ de 18 mois. Or, après s’être fait offrir 12 mois, un avocat s’en mêle et l’entente d’origine semble alors respectée. Cela dit, les négociations achoppent et un projet de transaction tombe entre deux chaises. Le directeur général dépose des plaintes. L’employeur verse alors une indemnité de 18 mois de son propre chef, et déclare qu’il y a eu transaction, en moyen préliminaire à l’une des plaintes (ce qui aurait eu pour effet de mettre fin au processus devant le tribunal administratif).
Le juge administratif décide qu’il n’y a pas de transaction, et il explique pourquoi :
[26] Finalement, le 1er novembre, l’avocat de l’employeur écrit à celui du plaignant :
Cher confrère,
Comme vous le savez, nous sommes les avocats de la Compagnie mutuelle d’assurance en église (ci-après « Mutuelle »).
Nous avons reçu le mandat de notre cliente de vous aviser que les montants en vertu de l’Addenda modifiant le contrat de travail de votre client signé le 9 avril 2018 seront versés à votre client au plus tard le 8 novembre 2018 de la manière qui suit :
- Un montant de xx $ sera versé par virement bancaire dans le compte bancaire de monsieur Beaulieu, en utilgisant les coordonnées bancaires utilisées par notre cliente jusqu’en date du congédiement;
- Un montant de xx $ sera versé par virement bancaire dans le compte REÉR Desjardins de monsieur Beaulieu, en utilisant les coordonnées bancaires utilisées par notre cliente jusqu’en date du congédiement.
Le détail des sommes brutes versées à votre client et les déductions à la source appliquées se retrouve à l’annexe ci-jointe.
Si les numéros des comptes bancaires ci-dessus ont changé, prière de nous en aviser d’ici13h, le 2 novembre 2018, à défaut de quoi les montants seront versés tel qu’indiqué ci-dessus.
Ces montants sont versés à votre client sans admission quelconque de responsabilité de la part de la Mutuelle ou de ses administrateurs, membres, employés ou assureurs. Aussi, le versement de ce montant ne saurait constituer une reconnaissance de la validité de l’Addenda du 9 avril 2018 par notre cliente ni une remise en question par notre cliente du congédiement pour motif sérieux/faute grave du vôtre.
Veuillez agréer, cher confrère, l’expression de nos sentiments les plus distingués.
[Transcription textuelle et notre soulignement]
[27] Le document ne contient aucune quittance ni transaction à signer.
[28] Dans les faits, le 5 novembre suivant, l’employeur effectue trois versements correspondant à l’indemnité de 18 mois relative au salaire, au REER et aux indemnités relatives aux différents bénéfices et au remboursement de dépenses.
[29] Précisons que le plaignant n’a jamais réagi au versement de ces sommes.
[30] Finalement, le 13 novembre 2018, l’employeur reçoit un avis de dépôt de plaintes émanant de la CNESST en lien avec les deux recours soumis par le plaignant.
[31] De tout ce qui précède, le Tribunal conclut que les communications échangées entre les parties démontrent clairement que les montants qui lui ont été versés correspondent en tout point aux indemnités à verser au plaignant en cas de rupture du lien d’emploi, à l’initiative de l’employeur, ce que confirme Gabriel Groulx, président du conseil d’administration au moment du congédiement.
[32] D’ailleurs, la lettre de l’employeur du 1er novembre 2018 ne fait nullement mention d’un versement de sommes consenti en échange de la renonciation par le plaignant à exercer quelque recours que ce soit contre l’entreprise.
[33] L’employeur n’est jamais revenu auprès de celui-ci pour indiquer qu’il remettait en question ses prétentions dans les correspondances des 16 août et 5 octobre 2018 voulant que les sommes versées le soient en application du contrat de travail.
[34] Dès lors, le versement de ces sommes à titre de préavis de fin d’emploi et d’avantages prévus au contrat de travail n’a pas eu pour effet de les transformer en une transaction.
[35] À ce sujet, le Tribunal réfère à l’affaire Bourget c. Association Agaparc[3] dans laquelle l’employeur alléguait qu’il y avait eu transaction lors du versement du préavis de quatre mois prévu au contrat de travail :
Il ne s’agit pas ici d’une transaction au sens du Code civil. L’employeur s’appuie sur les quatre mois de salaire payés au plaignant à titre de préavis selon les termes du contrat à durée déterminée que ce dernier a signé en 1996 pour une période de trois ans pour conclure à une transaction. Or, le Code civil définit une transaction à l’article 1918 en ces termes :
«La transaction est un contrat par lequel les parties terminent un procès déjà commencé, ou préviennent une contestation à naître, au moyen de concessions ou de réserves faites par l’une ou l’autre des parties ou par toutes deux.»
Il faut distinguer un contrat visant à éviter une contestation, ou par ailleurs il doit exister réciprocité de concessions et un préavis d’emploi qui découle en droit civil des articles 2091 et 2092.
[Nos soulignements]
[36] Qui plus est, l’employeur n’a jamais communiqué avec le plaignant après avoir reçu de la CNESST un accusé de réception des plaintes déposées pour lui signifier qu’il y avait eu transaction.
[37] Également, la preuve révèle que l’employeur est au courant des procédures concernant la notion de transaction et quittance. À ce sujet, le Tribunal réfère à la transaction et quittance intervenue dans un dossier de nature civile au mois de juin 2018. Si l’employeur avait désiré que les montants versés au plaignant le soient en contrepartie d’une renonciation à l’exercice de tout recours par celui-ci, il aurait dû le préciser dans la lettre du 1er novembre 2018.
[38] Enfin, il y a lieu de souligner que dans le cadre des discussions précédant le versement des sommes d’argent du présent dossier, l’employeur était représenté par un avocat aguerri en droit du travail.
[39] Si ce dernier n’a pas jugé pertinent de prendre des dispositions nécessaires afin d’encadrer le fait qu’il y avait eu transaction, c’est donc dire que celle-ci était absente quant à l’intention des parties de la voir incluse dans une entente à l’amiable. Autrement, celles-ci y auraient fait référence.
[40] Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut que le paiement des sommes d’argent ne constitue pas une transaction au sens de l’article 2631 du C.c.Q.