Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans le jugement de la Cour supérieure Veillette c. Intral inc., un employé de longue date (16 ans) qui avait commencé très jeune comme contrôleur à un salaire de 28 000$ a gravi les échelons un à un de la compagnie, si bien qu’il s’est retrouvé vice-président à l’aube de sa quarantaine à un salaire de 186 000$, ayant aussi obtenu dans l’intervalle son titre de CPA.
Il est remercié de ses services lors d’une abolition de poste (restructuration), une raison qui n’est pas remise en cause en Cour supérieure, mais qui avait fait l’objet d’un débat préalable.
Le vice-président demande 17 mois d’indemnité de départ, et l’employeur offrait 17 semaines. Au final, le juge tranchera pour 10 mois, en soustrayant le temps durant lequel l’employé avait trouvé un nouvel emploi, soit 4 mois après l’abolition de son poste.
Voyez ici l’essentiel de la décision :
[21] Sans surprise, le préavis réclamé par le demandeur – à 17 mois – peut être qualifié de long, objectivement et sans égard aux faits de l’affaire. Celui actuellement payé par son employeur – à 3,92 mois – est passablement court.
[22] Pour déterminer où se trouve le délai raisonnable, en fonction des circonstances particulières à l’étude, revoyons d’abord les cinq critères examinés dans l’arrêt Transforce[20] :
− la nature et l’importance du poste
[23] Le poste de vice-président exécutif d’Intral est bien sûr un emploi de cadre supérieur, auxquelles sont associées des caractéristiques d’autorité et d’autonomie dans le travail.
[24] La durée prévisible du préavis, portée à la hausse par ce premier critère, doit cependant être ici tempérée :
- a) du fait que les occupations de monsieur Veillette n’ont pas changé de façon significative après sa promotion de 2013, seulement 20 % de ses tâches étant bonifiées;
- b) du fait que le demandeur a rapidement été délesté d’une partie de ces nouvelles fonctions liées aux ventes et à la gestion de l’usine, tel que rapporté par la décision D-1 du Tribunal administratif du travail (du 21 septembre 2018)[21], et tel qu’ensuite reconnu par monsieur Veillette lui-même à son interrogatoire préalable (du 27 juin 2019)[22].
[25] Monsieur Veillette porte donc le titre de vice-président exécutif de l’entreprise, mais n’assume pas l’intégralité des charges qui sont habituellement associées à ce type d’emploi. Malgré ce bémol lié à la nature même des activités du demandeur, ce critère favorise plutôt la thèse de ce dernier.
− le nombre d’années de service de l’employé
[26] Monsieur Veillette a passé 16 ans et demi chez Intral, et la qualité de son travail n’a jamais été discutée ni remise en cause.
[27] Encore ici, ce critère favorise davantage la position du demandeur que celle de son employeur.
− l’âge de l’employé
[28] Monsieur Veillette s’est trouvé en recherche d’emploi tout juste avant ses 40 ans. C’est souvent l’âge où l’on devient intéressant pour un éventuel employeur, compte tenu de l’expérience et de la maturité acquise pendant les 15 années précédentes.
[29] Ce facteur est plutôt à l’avantage de l’employeur.
− les circonstances ayant mené à son engagement
[30] À la fin de l’année 2000, monsieur Veillette – originaire de Shawinigan – travaille à La Tuque et souhaite se rapprocher de Trois-Rivières[23].
[31] C’est une connaissance commune du demandeur et de l’ancien contrôleur d’Intral qui les mettent en contact, ce qui mène à une entrevue chez la défenderesse, et ensuite au début de l’emploi du demandeur en janvier 2001.
[32] Rien ne suggère que monsieur Veillette ait quitté un emploi plus rémunérateur, et il est apparent que ce candidat n’a pas été particulièrement sollicité par Intral, à l’époque.
[33] Ce quatrième critère est neutre, et n’aura aucune incidence dans l’équation.
− la difficulté de se trouver un emploi comparable
[34] Le demandeur se met à la recherche d’un emploi en juillet 2017, et prend environ dix semaines à se trouver un poste de contrôleur dans une autre entreprise de Princeville, donc tout près de chez lui[24].
[35] Objectivement, on ne peut pas dire que monsieur Veillette ait éprouvé de la difficulté à se trouver un emploi, cet emploi étant à plusieurs égards comparable au précédent, dans sa nature, sans toutefois l’être dans sa rémunération. Cela suscite des commentaires particuliers des deux avocats.
[36] D’une part, l’avocat d’Intral rappelle le paragraphe 7 de son exposé sommaire des moyens de défense, qui énonce que « le demandeur n’a pas pris tous les moyens raisonnables en son pouvoir afin de limiter ses dommages et de se trouver un nouvel emploi dans les meilleurs délais ».
[37] Veut-on prétendre que le demandeur n’a pas mitigé ses dommages?
[38] Le Tribunal constate que monsieur Veillette, très à l’aise dans ses fonctions de contrôleur d’une entreprise, a choisi de retrouver rapidement ce poste dans une nouvelle société en octobre 2017, comme il l’a refait plus récemment en devenant directeur financier et opération de GG Telecom[25].
[39] Eut-il décliné ou ignoré le poste chez Excellence Composites, en octobre 2017, que la défenderesse le lui aurait reproché, avec raison nous semble-t-il. Dans les faits, monsieur Veillette a dûment mitigé ses dommages.
[40] Sous un angle un peu différent, il importe également de souligner qu’il serait contradictoire pour Intral de blâmer le demandeur pour n’avoir pas cherché un emploi à 180 000 $, en même temps que l’on suggère en défense que ses fonctions réelles ne correspondaient pas à tel niveau de revenus.
[41] D’ailleurs, c’est ce dernier constat qui semble avoir présidé au fait que la restructuration de l’entreprise ait été commandée et réalisée par son directeur des finances[26].
[42] D’autre part, l’avocat du demandeur ne peut valablement soutenir que le délai‑congé doit correspondre au temps concrètement requis pour retrouver un emploi sans aucune perte économique : ce n’est pas ce qu’il énonce nommément, mais sa présentation de la citation du juge Baudouin semble nous inviter à considérer cette possibilité.
[43] Dans l’arrêt Standard Broadcasting, le juge Baudouin écrivait ainsi que le délai‑congé a pour but de permettre à l’employé « d’avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi sans encourir de perte économique » [soulignement ajouté]. Rappelons toutefois que dès la page suivante, le juge précise que le délai‑congé doit être suffisamment long « pour permettre à l’employé de se retrouver une occupation lucrative » [soulignement ajouté]. Le temps doit donc être raisonnable, et l’occupation lucrative, sans plus.
[44] À tout événement, et pour des raisons qu’ils lui sont propres, monsieur Veillette a choisi d’accepter rapidement un emploi qui lui convenait, à proximité de chez lui, et en considération d’un salaire qui correspondait à ses occupations d’avant 2013.
[45] Il est possible que le demandeur ait pu trouver un emploi plus rémunérateur en cherchant plus longtemps, ou en ratissant une zone plus éloignée de sa résidence. Plutôt que ces hypothèses, ce sont davantage les paramètres concrets de son retour au travail, tel qu’il s’est réalisé, qui constituent cette « impressionnante conjonction de facteurs »[27] à être considérés dans l’exercice d’appréciation du délai raisonnable.
[46] De l’avis du Tribunal, le demandeur n’a pas eu de difficulté à se trouver un emploi de nature comparable. On retiendra toutefois de ce questionnement que son nouvel emploi de contrôleur est plus courant que le poste qu’il a occupé pendant ses quatre dernières années chez Intral.