Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause du Tribunal administratif du travail Joseph c. Lumigraf inc., un juge donne raison à un designer graphique qui conteste son congédiement, qu’il prétend avoir été fait sans cause juste et suffisante.
Le plaignant est responsable des impressions chez son employeur et est mis à pied au début de la pandémie mondiale de COVID. Son employeur dira plutôt qu’il a volontairement quitté son emploi et, de façon subsidiaire, qu’il aurait commis des fautes graves qui justifieraient son congédiement.
Le juge conclut au congédiement sans cause et ne retient pas la version de l’employeur. La question qui nous intéresse aujourd’hui est plutôt celle de la réintégration, qui est le remède habituel à la situation que vit le plaignant. Il faut réintégrer le plaignant, ou il faut que le juge (et les parties) justifie l’impossibilité de le faire, à moins bien sûr que le plaignant ne renonce à cette réintégration.
Nous avons ici l’exemple d’une petite équipe et d’un climat potentiellement malsain qui justifie l’impossibilité de la réintégration :
[85] L’article 128 de la LNT énumère les différentes mesures de réparations pouvant être ordonnées à la suite de la conclusion d’un congédiement sans une cause juste et suffisante, dont celle d’ordonner la réintégration du salarié concerné chez l’employeur.
[86] La jurisprudence reconnait que la réintégration est le premier remède qui s’impose lorsqu’une plainte 124 de la LNT est accueillie et qu’elle doit être ordonnée à moins de circonstances exceptionnelles, comme la Cour d’appel le rappelait dans l’affaire Carrier[11] :
[129] En fait, selon une jurisprudence constante, avalisée par notre cour dès 198570, la réintégration est le remède normal en cas de congédiement sans cause juste et suffisante. C’est l’objectif même du recours prévu par les articles 124 et s. L.n.t. – on pourrait même dire sa raison d’être – et ce qui le distingue du recours de droit commun. Ce n’est pas seulement que la réintégration peut être ordonnée par la CRT, elle doit l’être, à moins que le salarié y renonce ou que l’employeur ne démontre l’existence d’un obstacle réel et sérieux et l’impossibilité ou l’infaisabilité d’une telle mesure. Certes, la CRT jouit d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, mais d’un pouvoir discrétionnaire bien balisé qui ne peut faire fi du principe de la réintégration.
[Notes omises et nos soulignements]
[87] En l’instance, monsieur Joseph a précisé en début d’audience ne pas renoncer à son droit à la réintégration, puis lors des représentations finales, a mentionné qu’il lui apparaissait que la réintégration était finalement impossible. L’employeur affirme aussi que la réintégration est impossible.
[88] Bien que le Tribunal ne soit pas lié par cette position commune des parties, il constate qu’il existe effectivement des obstacles sérieux à une telle réintégration et que cette dernière n’est donc ni souhaitable ni envisageable.
[89] Cette conclusion se justifie notamment par la taille de l’employeur qui compte à peine sept employés travaillant tous dans un même lieu de travail, les séquelles laissées par les conflits survenus au mois de mars 2020 et l’apparente animosité entre monsieur Joseph et monsieur Taylor, encore palpable et concrète au cours des audiences.
[90] Dans de telles circonstances, il n’y a pas lieu d’ordonner la réintégration.