Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause de la Cour supérieure Indelicato c. Corporporation de services des ingénieurs du Québec, un directeur général de 53 ans engagé depuis deux ans se fait congédier essentiellement (1) parce qu’il ne semble pas réussir à susciter l’adhésion à l’interne, ce que confirme un sondage et (2) qu’il a une restructuration qui ne faisait pas l’affaire du CA, pour dire le moins. Ce plaidoyer de la défenderesse sera retenu par le juge.
Théoriquement, il est alors inutile de se demander quelle est l’indemnité de départ, puisqu’un congédiement pour motifs sérieux n’en emporte pas. Cela dit, le juge enrichi ici la jurisprudence en se prononçant tout de même sur l’indemnité, l’employeur ayant versé quatre mois malgré tout.
Outre les critères d’octroi classiques des indemnités de départ, on étudie ici le contrat de travail – qui n’était pas un contrat d’adhésion – et qui prévoyait une clause de résiliation après 4 mois. Voyez de quelle façon ça a influencé le travail de la cour :
[98] Si le Tribunal avait déterminé qu’Indelicato n’avait pas été congédié pour un motif sérieux, il aurait dû se prononcer sur l’indemnité tenant lieu de délai de congé à laquelle il aurait eu droit.
[99] Or, conformément au paragraphe 7.2 du contrat de travail, le Réseau IQ lui a versé l’équivalent de quatre mois de salaire.
[100] Indelicato avait consenti à la teneur de la clause 7 du contrat de travail relative à sa résiliation, la négociation de ses termes s’étant étalée sur plusieurs mois. On ne peut certes parler ici d’un contrat d’adhésion.
[101] Indelicato se fonde sur la règle d’ordre public édictée à l’article 2092 C.c.Q. pour soutenir que ce délai de congé prévu à la clause 7.2 ne peut lui être opposable. L’article 2092 stipule :
- Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[102] Il invoque à cet égard l’arrêt Isidore Garon de la Cour suprême du Canada dans lequel la cour a affirmé que le délai de congé doit être déterminé de façon individuelle et que l’employé ne peut en convenir à l’avance.
[103] Le contexte qu’examinait la cour dans Isidore Garon différait substantiellement de notre affaire. Elle a cependant statué qu’en raison de la règle impérative de l’article 2092 C.c.Q., le délai de congé doit être évalué au moment où il prend effet, soit à la fin de l’emploi.
[104] Le fait de prévoir dans un contrat de travail les modalités du délai de congé n’est pas contraire à l’ordre public. C’est la renonciation à recevoir un délai de congé raisonnable qui l’est. En effet, l’employé a toujours droit à un délai de congé raisonnable.
[105] La suffisance du délai de congé doit donc être examinée au moment où le droit à un tel délai de congé se cristallise, soit au jour de la résiliation du contrat.
[106] C’est donc au 17 avril 2012 que le Tribunal doit se placer pour apprécier le caractère raisonnable ou non de l’indemnité tenant lieu de délai de congé qu’Indelicato a reçue.
[107] La réponse à cette question dépend des circonstances propres à l’espèce et est fonction de divers facteurs au nombre desquels, mentionnons les suivants :
- la durée de l’emploi;
- la nature des fonctions;
- les responsabilités assumées;
- l’âge d’Indelicato;
- l’état du marché du travail;
- les circonstances entourant le recrutement d’Indelicato(y a-t-il eu sollicitation ou non?).
[108] Au moment de la résiliation du contrat de travail par le Réseau IQ, Indelicato cumulait quelque deux ans et cinq mois de service, si on inclut la période de huit mois pendant laquelle il a assuré l’intérim. C’est pourquoi le Réseau lui a versé quatre mois de salaire aux termes de la clause 7.2.
[109] Il était un cadre supérieur et s’acquittait des tâches les plus importantes de toute la permanence de l’organisation auprès de laquelle il incarnait l’autorité du conseil d’administration.
[110] Au jour de son congédiement, il était âgé de 53 ans.
[111] La preuve est muette sur l’état du marché des postes de directeur général d’une organisation sans but lucratif à l’époque pertinente. Toutefois, il n’est pas présomptueux de croire qu’ils ne proliféraient pas.
[112] Enfin, on se souvient qu’Indelicato n’a pas été sollicité ni recruté alors qu’il travaillait chez un autre employeur. Il a postulé l’emploi.
[113] On le voit, certains critères militent en faveur d’une indemnité plus longue. Au nombre de ceux-ci, mentionnons la nature des fonctions et des responsabilités, de même que le niveau de salaire qui lui était versé. Mais d’autres justifient un délai de congé plus court tels la durée de l’emploi, son âge – 53 ans – pour un ingénieur qui peut encore exercer sa profession et le fait qu’il n’ait pas été sollicité ou incité à quitter l’emploi qu’il occupait auparavant.
[114] La pondération des critères pertinents fait en sorte que, de l’avis du Tribunal, l’indemnité équivalant à quatre mois de salaire en conformité avec la clause 7.2 du contrat de travail est raisonnable dans les circonstances.
[115] C’est ainsi que, si le Tribunal avait déterminé qu’Indelicato avait été congédié sans motif grave, il aurait par ailleurs conclu qu’il avait, dans les circonstances, reçu une indemnité suffisante.