Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Bergeron c. Medtronic Canada, une directrice marketing à l’emploi d’une compagnie d’équipements et de produits médicaux subit un congédiement déguisé, par un ensemble de mesures correctives.
Quant on commence un « dossier » contre un employé, il est important de le faire de bonne foi, d’observer une gradation des sanctions et de permettre à l’employé de s’améliorer, le plus souvent par un plan de redressement (ou de performance).
Un tel type de plan de redressement est au cœur de la décision d’aujourd’hui. L’employée, qui avait été promue quelque fois et qui était performante, s’était fait retirer des tâches, une action qui en elle-même ne constitue pas ipso facto un congédiement déguisé. Cela dit, elle s’était aussi fait imposer un plan de redressement, mais celui-ci comportait des lacunes. Elle n’en n’obtient que copie trop tard et un coach externe est supposé lui être fourni mais ne l’est pas, par exemple.
Ces mesures correctives constituent un congédiement déguisé, parce qu’une personne raisonnable en conclurait que l’employeur ne veut plus être lié par le contrat d’emploi.
Voyez ici les passages de conclusion :
[106] Comme l’énonce la Cour suprême dans l’arrêt Potter[4], le congédiement déguisé peut revêtir deux formes distinctes, soit « celle d’un seul acte unilatéral qui emporte la violation d’une condition essentielle ou celle d’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat »[5] et c’est à la plaignante qu’il revient d’en faire la preuve[6].
[107] Dans le présent cas, l’employeur soutient que les mesures correctives imposées à la plaignante ciblent la performance et sont administratives, de sorte qu’elles relèvent de son droit de gérance. Il plaide qu’en conséquence, le rôle du Tribunal se limite à déterminer si elles sont abusives ou discriminatoires et qu’à défaut, les plaintes doivent être rejetées.
[108] De façon subsidiaire, il ajoute que même si ces mesures étaient abusives ou discriminatoires, elles ne correspondent tout de même à aucune des deux formes de congédiement déguisé reconnues et insiste sur leur caractère « transitoire ».
[109] Il est cependant bien établi qu’une mesure administrative vise à mettre un terme « à une situation qui, bien que préjudiciable à l’entreprise, est indépendante de la volonté du salarié »[7] et non « pas à sanctionner un comportement fautif ou à amener un salarié à s’amender »[8].
[110] Or, monsieur Sandhu a notamment témoigné au sujet d’échanges qu’il a eus avec la plaignante concernant des modifications qu’elle souhaitait voir apportées à son PIP. En somme, il explique qu’elle voulait que des éléments mesurables (« quantifiable metrics ») y soient ajoutés, mais que cela n’était pas possible, car il est question d’un changement dans son comportement, ce qui s’observe, mais ne peut être mesuré.
[111] De même, comme mentionné précédemment, madame Cheung a quant à elle justifié la durée du PIP par le fait que d’apporter des changements importants à un comportement nécessite beaucoup de temps.
[112] Ainsi, en dépit de la qualification qu’en fait l’employeur, les mesures imposées à la plaignante visent, au moins en partie, la correction de son comportement. Il ne s’agit donc pas de mesures purement administratives.
[113] Par ailleurs, le fait que l’imposition d’un plan de redressement ne constitue pas une modification du contrat de travail de la plaignante n’est pas remis en question. Celle-ci prétend plutôt avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé enrobé dans un programme d’amélioration du rendement et le PIP ne constitue qu’une des mesures correctives lui ayant été imposées.
[114] Ce qu’il faut déterminer, c’est donc s’il s’agit « d’actes qui, au vu de toutes les circonstances, amèneraient une personne raisonnable à conclure que l’employeur n’entend plus être lié par les clauses du contrat »[9] et, avec égards, le Tribunal estime que c’est le cas ici.
[115] En effet, au moment de l’annonce de l’imposition des mesures correctives, il n’avait jamais été question de quelque souci que ce soit au niveau du rendement de la plaignante. Au contraire, celle-ci a toujours été considérée comme une employée très performante et ses évaluations sont toutes excellentes.
[116] La surprise est donc grande lorsque survient l’annonce, non seulement de l’imposition d’un PIP, mais également celle du retrait de la responsabilité de plusieurs portfolios, ainsi que de la supervision des employés qui y travaillent.
[117] Manifestement il s’agit d’une modification non négligeable de ses responsabilités et, par conséquent, de ses conditions de travail. Cela s’apparente d’ailleurs à une rétrogradation et une telle mesure peut parfois être considérée[10], à elle seule, comme une modification suffisamment importante des conditions de travail pour constituer un congédiement déguisé.
[118] Même si ce n’est pas le cas ici, la réduction des responsabilités de la plaignante doit s’apprécier en tenant compte de l’ensemble du contexte dans lequel elle intervient, ainsi que des autres mesures qui lui sont imposées.
[119] Or, les responsabilités qui lui sont retirées sont confiées à celui qui a assuré le remplacement de la plaignante pendant son absence. Même si l’employeur allègue que cela ne vise qu’à éviter qu’elle supervise mesdames Lachance et Zmeureanu avant de compléter le PIP, la plaignante n’en est pas informée.
[120] En outre, comme mentionné précédemment, lorsque le PIP lui est remis, plusieurs jours après l’annonce des mesures correctives, il s’avère quand même incomplet. De même, la faiblesse de son contenu permet de se demander s’il ne s’agit pas d’une façon de pousser la plaignante à quitter ses fonctions.
[121] Cela est d’autant plus vrai que même si elle travaille jusqu’au 27 septembre 2019, soit un mois après l’imposition des mesures correctives, l’identité du coach externe dont les services doivent lui être fournis ne lui a jamais été communiquée et aucune date ne lui a été donnée pour les formations qui doivent être suivies, et ce, même si l’une d’elles devait se tenir au cours du mois de septembre.
[122] Rappelons également que l’une des mesures correctives constitue en réalité une nouvelle pratique mise en place dans toute l’unité Innovations chirurgicales et qu’une des formations imposées par le PIP a été suivie par tous les gestionnaires.
[123] Finalement, le témoignage de la plaignante n’est pas contredit au sujet du « cauchemar » informatique vécu à la suite de son retour au travail, lequel inclut notamment la destruction ou la perte de ses archives, ni au sujet de l’imposition de démarches inhabituelles pour régler des problèmes avec son téléphone cellulaire, comme d’obtenir l’approbation du « CFO » de l’entreprise.
[124] Le Tribunal conclut donc que la plaignante a été victime d’un congédiement déguisé. En conséquence, sa plainte déposée le 18 octobre 2019, en vertu de l’article 124 de la LNT, est accueillie.
[125] Au niveau des remèdes, le Tribunal prend acte de sa renonciation à la réintégration exprimée dans le cadre de son témoignage, le 28 juin 2021 et, comme convenu avec les parties, il réserve ses pouvoirs quant aux autres mesures de réparation.