Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Aumont-Pigeon c. Les Spécialistes du Financement Québec inc., une employée autrement compétente décide de déménager loin de son lieu de travail pour se rapprocher de sa famille, puis tombe en congé de maladie.
À son retour, s’en suivent des « négociations » avec son patron où elle lui indique essentiellement qu’elle ne pourra pas arriver à l’heure, étant donné le trafic qu’elle doit maintenant affronter les matins. Son patron ne peut l’accommoder, et on juge qu’il est dans son bon droit. Elle quitte la dernière rencontre en pensant que son patron l’a congédiée de façon déguisée, lui pense qu’elle a abandonné son emploi et donc, qu’elle a démissionné.
Ce n’est probablement pas le jugement le plus surprenant de la semaine, mais qu’on se le tienne pour dit : un déménagement pour des raisons personnelles qui empêche un employé d’arriver à temps… n’est pas cause de congédiement déguisé.
Voyez ici les passages de conclusion :
[36] Les allégations de la plaignante sont analysées sous l’angle du congédiement lié à un comportement prémédité de l’employeur. Ce que la jurisprudence appelle le congédiement par induction. La plaignante n’a pas clairement démissionné et il n’y a pas eu de modifications substantielles de ses conditions de travail essentielles.
[37] La prétention de la plaignante quant au congédiement déguisé est la suivante :
- refus de l’employeur de l’accommoder au niveau de son horaire en raison de son déménagement;
[38] Plus particulièrement, la plaignante reproche à l’employeur d’avoir refusé sa demande de ne pas effectuer les ouvertures de l’entreprise à 9 h puisqu’en raison de son déménagement, elle arriverait toujours en retard. Elle ne peut donc les faire.
[39] L’employeur argumente qu’il n’a jamais procédé au congédiement de la plaignante. Il a trois conseillers spécialistes en financement à son service et chacun d’eux doit effectuer les ouvertures et fermetures de la concession. Il s’agit d’un principe d’équité entre les conseillers. Il ne peut être tributaire du fait que la plaignante a décidé de déménager à plus de 75 minutes de trajet en automobile de son lieu de travail.
[40] Le Tribunal ne constate aucun comportement de l’employeur empreint de mauvaise foi, de malice ou d’arbitraire. Il demande tout simplement à la plaignante de respecter l’horaire de travail qu’elle avait avant son absence pour maladie. Elle n’a aucune limitation fonctionnelle obligeant l’employeur à l’accommoder.
[41] Celle-ci a décidé de se rapprocher de sa famille au début de l’année 2021 pour des raisons personnelles. C’est tout à fait son droit, mais avec ce choix viennent des conséquences. Elle s’éloigne grandement de son lieu de travail et se met en position de ne plus être en mesure de respecter son horaire de travail. Ceci n’est aucunement imputable à l’employeur.
[42] Elle confirme d’ailleurs sa volonté d’organiser sa vie dans son nouveau milieu en obtenant, à peine cinq jours après le dépôt de sa plainte de congédiement, un emploi similaire auprès du concessionnaire que lui avait suggéré son supérieur le 3 septembre précédent. Elle y travaille encore à ce jour et confirme au Tribunal que cela est proche de sa résidence. Comment ne pas y voir là une volonté de la plaignante d’abandonner son emploi?
[43] Les comportements de la plaignante attestent clairement l’absence de toute intention sérieuse de revenir chez l’employeur. Elle refuse de respecter l’horaire de travail demandé par son supérieur et veut à tout prix imposer son propre horaire.
[44] En aucun moment, la plaignante n’a tenté de communiquer avec son supérieur afin de l’informer qu’elle entendait effectuer les ouvertures de la succursale. Au lieu de cela, elle tente d’obtenir un relevé de cessation d’emploi indiquant qu’elle est congédiée, elle dépose une plainte de congédiement et commence l’emploi recommandé par son supérieur quelques jours à peine après sa plainte.
[45] Tous ces comportements démontrent clairement l’absence d’intention sérieuse de la plaignante de revenir travailler chez l’employeur. Il était raisonnable, dans les circonstances, que l’employeur considère qu’elle ne désirait plus travailler au sein de son entreprise.
[46] La plaignante n’a pas fait la preuve d’avoir été l’objet d’un congédiement. Comme l’exprimait la Cour suprême dans l’arrêt Potter[3], la preuve ne démontre pas « une série d’actes qui considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat ».