Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Lehuquet c. Fersten Mondial Inc., une chargée de compte senior dépose deux plaintes en vertu de la Loi sur les normes du travail, l’une pour pratique interdite (article 122) et l’autre pour congédiement sans cause juste et suffisante (article 124).
Ce jugement du TAT nous replonge au cœur des tous premiers moments de la pandémie de COVID-19, en mars 2020.
La chargée de compte senior en question se fait essentiellement refuser de continuer à faire du télétravail à la fin du printemps, alors qu’elle éprouve (comme plusieurs parents du moment) des soucis quant à son emploi et à la garde de ses enfants. Elle exerce un droit de congé parental, et se fait congédier de façon concomitante. L’employeur semble irrité du fait que l’employée demandait à faire davantage de télétravail avant la pandémie, et qu’elle aurait vu celle-ci comme une opportunité de faire progresser son « agenda ». La juge a vu la situation d’un autre œil, en prenant en compte le fait qu’une autre employée pouvait télétravailler.
Bref, pendant la pandémie, il fallait que les employeurs fassent preuve d’une souplesse élémentaire.
Voyez ici les passages de cette partie de la conclusion :
[63] Les arguments pour refuser le télétravail sont de trois ordres. Premièrement, ce mode d’exécution ne fait pas partie du contrat de travail. Deuxièmement, tel qu’affirmé par le Président, le travail à distance ne fait pas partie de la culture de Fersten Mondial inc., car elle ne permet pas la même synergie entre les équipes. Finalement, comme employée sénior, la plaignante avait plus de responsabilités que les autres chargés de compte.
[64] Ces motifs ne convainquent pas que l’approche stricte de l’employeur était justifiée en période de crise et que l’incapacité de la plaignante d’y faire face, du 1er au 23 juin, est suffisante pour la congédier. Aucune démonstration ne permet de conclure qu’il s’agit de contraintes réelles, d’autant plus qu’il était déjà possible pour la plaignante de faire du télétravail de manière occasionnelle dans certaines circonstances. Cet élément, conjugué au fait qu’une autre employée a été autorisée à prolonger son absence au-delà de ce délai, permet plutôt de déceler que le motif invoqué par l’employeur pour justifier de la congédier relève du prétexte et qu’il ne s’agit pas de la véritable cause de la fin d’emploi.
[65] D’ailleurs, l’employeur a mis beaucoup d’emphase sur le fait que la plaignante discutait de la possibilité de faire du télétravail avec sa gestionnaire, et ce, bien avant la pandémie. Il voit en ses obligations familiales une stratégie de sa part afin de faire progresser ses revendications. En fait, ceci semble expliquer en grande partie l’irritation et la rigidité dont il a fait montre en mai 2020. Dans un contexte pandémique où écoles, garderies et services de garde sont fermés, et où le filet social était réduit à sa plus simple expression, l’attitude de l’employeur laisse dubitatif.
[66] Qui plus est, la preuve révèle qu’une autre employée a obtenu une troisième prolongation de l’autorisation de s’absenter, plus longue que celle demandée par la plaignante. La Directrice a expliqué la situation par le fait que cette employée n’avait pas autant de responsabilités que la plaignante, étant aussi chargée de comptes, mais sans être senior. Au-delà de cette affirmation, la preuve ne révèle pas en quoi ceci rendait problématique le télétravail pour une période de trois semaines. Cette nécessité de la présence sur les lieux du travail appliquée à deux vitesses, et ce, sans justification sérieuse de l’employeur alors qu’il s’agit d’une situation qui est appelée à se régler 22 jours plus tard est indicatrice encore une fois d’un prétexte. Rappelons que la plaignante n’a pas refusé de travailler, mais a mentionné ne pouvoir le faire à partir du bureau pour un court laps de temps. Elle a même proposé de se rendre sur place avec ses enfants au besoin.
[67] Il appert donc que l’employeur n’a pas démontré qu’il s’agissait de la véritable raison du congédiement. Ainsi, il n’a pas repoussé la présomption.