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Un rappel à l’effet que la demande de révision au Tribunal administratif du travail n’est pas un appel

14 mars 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Côté et Tessier c. Capital Alternatif inc., l’employeur demande une révision d’une décision préalable du TAT qui rejetait ses trois moyens d’irrecevabilité , à savoir que les plaintes concernaient des cadres supérieurs (ils ne sont pas admissibles aux recours en congédiement sans cause juste et suffisante), qu’elles avaient été déposés hors délai et que les plaignants avaient démissionné.

En révision, l’employeur demande que soit révisés deux de ces motifs, ainsi que la décision de retenir un témoignage plutôt qu’un autre. Le juge administratif nous rappelle le cadre applicable pour les demandes en révision :

 

[11]      L’article 49 de la LITAT prévoit que le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer l’une de ses décisions pour les motifs qui y sont énumérés, entre autres, lorsque la décision est entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider, comme indiqué au paragraphe 3o de son premier alinéa.

[12]      Le fardeau de preuve est cependant exigeant. Il requiert la démonstration que la décision contestée est entachée d’un « vice fondamental et sérieux, dont l’impact est tellement déterminant sur l’issue du litige qu’il rend la décision invalide »[8]. Un « genre d’erreur » qui peut se présenter sous la forme d’un « accroc sérieux et grave à la procédure, ou en une décision rendue en l’absence de compétence, en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente ou, encore, une décision dont les conclusions sont carrément insoutenables »[9].

[13]      Comme la Cour d’appel l’a réitéré récemment dans l’arrêt Corbi[10], le pouvoir du Tribunal de réviser l’une de ses décisions est étroit, suivant l’article 49 al. 1 (3°) de la LITAT, puisqu’il ne doit alors intervenir qu’en regard « d’une erreur si grossière qu’elle invalide la décision ou en fait une décision qui, à sa lecture même, est indéfendable (un qualificatif fort), une erreur, en somme, dont ‘ la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ’ sautent aux yeux ». Le plus haut tribunal du Québec ayant au préalable précisé qu’ « un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit », mais « une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même ».

[14]      Un tel recours ne constitue donc pas un appel[11].

 

L’employeur semble réellement demander une nouvelle appréciation de la preuve.

Quant au reproche à la qualification des cadres supérieurs, le juge de révision est d’avis que toutes les règles de l’art du raisonnement juridique ont été suivies. Voyez plutôt :

 

[18]      Ce premier vice allégué à l’encontre de la décision TAT-1 ne peut être retenu.

[19]      En adoptant une interprétation restrictive de la notion de cadre supérieur, TAT-1 s’est bien dirigé en droit et il s’en explique, en prenant appui sur la jurisprudence pertinente, afin de justifier l’approche qu’il entend adopter :

[17]      Il faut adopter une interprétation restrictive de la notion de cadre supérieur, puisqu’il s’agit d’une exception à l’application d’une loi générale, d’ordre public, qui prévoit des conditions minimales de travail[13]. En outre, lorsqu’il s’agit d’une petite ou moyenne entreprise, la ligne entre un cadre supérieur et un cadre moyen ou intermédiaire est tracée à un niveau plus élevé que dans le cas d’une grande entreprise[14].

[20]      Par ailleurs, TAT-1 retient, dans le cadre de son analyse, les critères qui sont appliqués de façon constante en jurisprudence pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur au sens de la LNT, tout en indiquant, comme il se doit, qu’il y a lieu de privilégier « ceux qui concernent la participation à l’élaboration des orientations politiques de l’entreprise et le pouvoir décisionnel »[15] et ensuite, en faisant une application du droit aux faits qu’il retient et estime pertinents pour soutenir l’intelligibilité de son processus décisionnel[16].

[21]      À cet égard, TAT-1 n’a pas retenu les prétentions de l’employeur, puisque suivant son analyse « la preuve ne démontre pas de façon prépondérante que les plaignants ont un grand pouvoir décisionnel ou qu’ils participent à l’élaboration des politiques et des orientations stratégiques de l’employeur »[17].

[22]      L’élément déterminant, pour TAT-1, étant que « la preuve présentée par l’employeur ne concerne que les responsabilités des plaignants au sein de la division. Or, c’est ACG qui est employeur »[18].

 

 

Quant à la question de la démission ou du congédiement, le juge en vient essentiellement à la même réponse :

 

 

[32]      Ce second moyen doit également être écarté, et ce, pour les mêmes motifs que ceux exposés à la question précédente. En effet, l’employeur recherche ici, une fois de plus, une nouvelle appréciation de la preuve par le Tribunal, puisqu’il ne partage pas l’appréciation qu’en a faite TAT-1 ni les conclusions retenues.

[33]      Pour considérer si la rupture du lien d’emploi de messieurs Côté et Tessier résultait ou non d’une démission, TAT-1 pouvait, selon une jurisprudence bien établie[26], considérer d’une part que l’expression de leur intention de démissionner résultant de la preuve documentaire n’était pas concluante quant à leur véritable intention, et d’autre part, considérer comme pertinente la conduite antérieure et ultérieure des parties dans le cadre de son appréciation, ce qu’il a fait.

 

Finalement, quant à la préférence de l’une ou l’autre des versions d’un témoignage, ou quant à sa crédibilité, le juge se fie au premier jugement:

 

 

[40]      Prenant appui sur une jurisprudence constante, le Tribunal retient que « la détermination de la crédibilité d’un témoin et de la valeur probante de la preuve font partie des éléments qu’un décideur doit apprécier. C’est au cœur de la compétence du juge des faits […].cela relève de l’exercice de ses pouvoirs et ne constitue pas un vice de fond de nature à invalider la décision »[29].

[41]      Comme indiqué dans les décisions Laforce et ABB inc.[30] et Marquis et Techmire[31], et repris ensuite par le Tribunal[32], « l’appréciation de la crédibilité d’un témoin appartient à celui qui l’a vu et entendu » et « s’il y a une question, parmi toutes, qui relève d’abord de l’appréciation de celle qui a eu l’opportunité de voir et d’entendre les témoins, c’est bien celle de la crédibilité ».