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La décision du Tribunal administratif du travail a l’autorité de la chose jugée même s’il ne s’est pas prononcé sur un remède disciplinaire

20 mars 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans une décision interlocutoire récente du Tribunal administratif du travail Mambro c. Tiger-Vac international inc., un employé à qui on avait proposé un poste de directeur des ventes canadiennes se retrouve dans un imbroglio procédural.

Une décision du TAT quant à une plainte en congédiement sans cause juste et suffisante s’est avérée fondée, mais une mesure disciplinaire aurait tout de même dû lui être imposée. Cela dit, le TAT ne s’était pas prononcé à savoir ce que cette mesure disciplinaire aurait dû être. Il s’en suit un contrôle judiciaire, une demande de permission d’en appeler, et le rejet dudit appel après permission accordée. Bref, de retour au TAT pour une requête en fixation d’indemnité.

Pas si vite, dit l’employeur. Il s’objecte à savoir qu’on puisse fixer l’indemnité devant un juge administratif autre que celui qui ait entendu les parties quant à la plainte en congédiement sans cause juste et suffisante, sans le consentement des parties. Or, ce juge a pris sa retraite dans l’intervalle. L’employeur veut donc une nouvelle audience sur les plaintes.

Le TAT rejette cette objection préliminaire et déclare que les décisions quant aux plaintes ont l’autorité de la chose jugée, et que la fixation de l’indemnité est une audience distincte.

Il se base de plus sur certains principes d’interprétation connus, de même que sur l’impératif de célérité des procédures.

Voyez ici le passage pertinent:

 

 

 

[31]      L’employeur prétend que le Tribunal doit reprendre l’audition de la plainte puisque la crédibilité des témoins est un enjeu important dans la présente affaire. TAT-1 a spécifié que le comportement du plaignant méritait assurément d’être sanctionné. Il n’a cependant imposé aucune mesure disciplinaire au plaignant, ce qu’il aurait été en droit de faire. Il n’a conservé compétence que sur les mesures de réparation.

[32]      Il est toutefois bien établi que le Tribunal peut faire référence à la preuve administrée lors de la décision initiale lorsqu’il rend sa décision eu égard à la requête en fixation d’indemnité. La Cour supérieure écrivait à ce sujet dans l’affaire Trois-Rivières Nissan inc. c. Commission des relations du travail[14] :

[29]      Le premier moyen de révision de Nissan repose sur la prémisse que la CRT a puisé des faits mis en preuve lors de l’enquête en vertu de l’article 15 C.t. pour justifier la fixation du quantum de l’indemnité. En ce faisant, elle aurait excédé sa compétence. Nissan soutient que les enquêtes en vertu des articles 15 C.t. et 19 C.t. doivent être parfaitement cloisonnées, à moins d’une entente entre les parties de verser la preuve dans le dossier sur la fixation de l’indemnité.

 

[…]

 

[38]      Il ne fait aucun doute que la CRT peut faire référence à la décision sur la plainte de congédiement, laquelle a acquis l’autorité de la chose jugée, n’ayant pas été contesté par l’une ou l’autre des parties.

 

[39]      Il est inexact, comme le soutient Nissan, que la référence à la décision sur la plainte de congédiement introduit, dans le dossier sur la fixation du quantum de l’indemnité, des éléments de preuve tirés de l’audition sur la plainte de congédiement.

 

[40]      La décision prononcée en vertu de l’article 19 C.t. complète la décision initiale accueillant la plainte en vertu de l’article 15 C.t. Cette seconde étape assure la mise en œuvre des conclusions de la première décision. Il n’apparaît que normal qu’il soit tenu compte de la première décision au moment de prononcer la seconde.

 

[Notre soulignement]

 

[33]      L’interprétation de l’article 42 de la LITAT proposée par l’employeur est contraire à l’objectif du législateur. En matière d’interprétation des lois, le juge Wagner de la Cour suprême rappelait les principes devant nous guider dans l’arrêt Ville de Montréal c. Dorval[15] :

[32]      L’interprétation d’une disposition législative doit, au-delà de l’attention portée à son libellé, favoriser la réalisation des objectifs du législateur (Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 41). Il faut donc se détacher du texte pour analyser son économie et son objet (P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et de M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009) nos 1418-1420 et 1452-1452). Il ne faut pas pour autant faire abstraction du texte de loi, mais plutôt lire [TRADUCTION] « les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur»…

 

[34]      Il est utile de rappeler que l’article 1 des Règles de preuve et de procédure du Tribunal administratif du travail prévoit que :

  1.       Les présentes règles s’appliquent à toutes les affaires introduites devant le Tribunal.

 

            Elles visent à ce que les demandes soient traitées de façon simple, souple et avec célérité, notamment par la collaboration des parties et des représentants et l’utilisation des moyens technologiques disponibles tant pour les parties que pour le Tribunal, et ce, dans le respect des règles de justice naturelle et de l’égalité des parties.

 

 

[35]      Une application souple visant à s’assurer de la célérité des débats tenus devant le Tribunal ne peut se conjuguer avec une interprétation aussi restrictive de l’article 42 de la LITAT. La poursuite d’une audition prévue à cet article nécessite qu’une décision sur le fond de l’affaire n’ait pas encore été rendue, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier.

[36]      Il est normal qu’une partie à un litige n’ayant pas fait l’objet d’une décision sur le fond de l’affaire hésite avant de poursuivre l’audition devant un autre décideur alors que ce dernier n’a pas eu le privilège d’entendre les témoins. Dans l’arrêt Gauthier[16], la Cour d’appel s’exprimait ainsi quant à l’importance que le juge des faits entende les témoins:

[36] On le sait, notre système de justice accusatoire privilégie les témoignages rendus de vive voix lors de l’audience. Les dépositions sont alors faites sous serment ou sous affirmation solennelle. Dans R. c. Bradshaw, la juge Karakatsanis, au nom de la majorité de la Cour suprême, rappelle cette règle générale dans les termes que voici :

 

            [19] Le processus de recherche de la vérité d’un procès repose sur la    présentation de la preuve en cour. Les parties présentent leur cause en soumettant au juge des faits des preuves matérielles et des témoignages de       vive voix. En cour, les témoins font leur déposition sous serment ou       affirmation solennelle. Le juge des faits observe directement les preuves             matérielles et entend les témoignages, de sorte qu’il n’y a aucun risque que       a preuve soit rapportée de manière inexacte. Ce processus procure au juge         des faits des outils solides pour apprécier la véracité de la preuve et en      évaluer la valeur. Pour savoir si un témoin dit la vérité, le juge des faits peut          observer son comportement et juger si le témoignage résiste à l’épreuve       d’un contre-interrogatoire […].

 

[37]      TAT-1 a eu le privilège d’évaluer la crédibilité des témoins, d’observer leur comportement, leur langage corporel, les tons de voix et d’autres aspects intangibles de la communication.

[38]      TAT-1 a alors rendu sa décision eu égard aux plaintes de congédiement et a tranché en faveur du plaignant. L’article 42 de la LITAT ne peut donc viser cette audition, car elle est terminée.

[39]      L’audition sur la requête en fixation d’indemnité en est une nouvelle. Il ne s’agit pas d’une révision ni d’un appel de TAT-1. La compétence du présent Tribunal est issue de la réserve du Tribunal dans TAT-1. Elle découle uniquement des conclusions de la décision et vise spécifiquement à donner effet et à appliquer les ordonnances rendues telles que rédigées en déterminant  la valeur des indemnités octroyées dans la décision TAT-1.