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Une preuve claire de motifs économiques et de réorganisation pour justifier la fin d’un emploi

13 avril 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la récente décision du Tribunal administratif du travail Matte c. Doublure Veratex ltée, un employé est remercié de ses services après 32 ans.

Bien qu’on aime penser que tous les employeurs sont exemplaires, il arrive souvent qu’un de ceux-ci mette fin à un emploi dans le but de se « débarrasser » d’un employé. Les plus zélés invoqueront que l’employé a commis une faute grave, ce qui mènera à une fin d’emploi sans indemnité de départ, alors que d’autres plus subtils prétexteront des motifs économiques ou une réorganisation, ce qui leur permettra une fin d’emploi tout de même, mais avec une indemnité de départ.

Dans les deux cas, un des recours disponibles est le même, soit la plainte en congédiement sans cause juste et suffisante de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail. Si le plaignant réussit à prouver les conditions d’ouverture – essentiellement qu’il n’est pas cadre supérieur, qu’il est salarié et qu’il cumule au moins deux ans d’ancienneté –, le fardeau de preuve sera alors celui de l’employeur, qui aura à démontrer une cause juste et suffisante pour la fin de l’emploi.

Les principales causes justes et suffisantes sont celles qui sont soit de motifs économiques (l’entreprise ne va pas bien) ou de motifs de réorganisation nécessaire.

Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, la preuve est très claire quant à ces deux motifs. Voici donc comment on motive correctement la décision de mettre fin à l’emploi d’un employé de longue date:

 

 

[17]      La présidente de Doublure Veratex ltée témoigne, qu’après 39 ans au même endroit, son entreprise a été forcée de déménager au printemps 2020 puisque le propriétaire de l’immeuble a doublé de loyer. Elle précise qu’il s’agissait d’un très mauvais moment pour déménager étant donné le contexte pandémique. Cependant, les nouveaux locaux situés au rez-de-chaussée rendent la réception et l’expédition de marchandise beaucoup plus facile, ce qui nécessite moins de main-d’œuvre.

[18]      Elle ajoute que suite à la pandémie, les ventes ont connu une baisse radicale entre 2020 et 2021, entrainant un manque de travail qui a forcé l’entreprise à réduire considérablement le nombre d’employés.

[19]      Les documents financiers caviardés produits révèlent que les ventes annuelles de la compagnie sont passées de 3,8 millions de dollars en 2019 à 3,7 millions de dollars en 2020 et 2,4 millions de dollars en 2021. Ce qui équivaut à une baisse de près de 1,5 million en deux ans.

[20]      Le plaignant prétend que les documents sont si caviardés qu’on ne peut tirer de conclusion. Il ajoute que la baisse des ventes et la diminution du nombre d’employés n’indiquent pas nécessairement que l’entreprise est en difficulté financière.

[21]      De l’avis du Tribunal, les documents financiers tels que déposés, permettent de constater la diminution des ventes totales entre 2019 et 2021.

[22]      Cette diminution des ventes est d’ailleurs corroborée par le témoignage de la présidente de l’entreprise qui parle de chute drastique des ventes. Elle précise d’ailleurs que les informations caviardées sont celles qui permettent d’identifier exactement les secteurs profitables de l’entreprise et ceux qui sont déficitaires. Elle ne souhaite pas rendre publiques ces informations puisque le plaignant travaille maintenant pour un compétiteur. Ces informations ne sont d’ailleurs pas nécessaires pour trancher le litige.

[23]      La présidente témoigne également que dans le contexte des difficultés financières, les trois directeurs de la compagnie ont accepté une baisse de salaire afin de minimiser les pertes financières et sauver l’entreprise. Elle ajoute que l’entreprise a reçu des subventions du gouvernement pour l’aider à compenser les pertes liées à la pandémie.

[24]      C’est dans ce contexte financier difficile, explique-t-elle que l’entreprise a dû mettre à pied plusieurs employés. Ainsi, la preuve démontre que les différents services de l’entreprise ont diminué le nombre d’employés de façon marquée entre 2019 et 2021.

  •       Le nombre d’employés du service des ventes est passé 4 employés en 2019 à 5 employés en 2020 et 3 employés en 2021.
  •       Le nombre  d’employés de bureau est passé de 5 employés en 2019 à 4 employés en 2020 et 3 employés en 2021.
  •       Le nombre d’employés d’usine de 13 employés en 2019 à 10 employés en 2020 et 5 employés en 2021.
  •       Le nombre d’employés du service de l’expédition, où travaille le plaignant, est passé de 9 employés en 2019 à 7 employés en 2020 et 3 employés en 2021.