Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la récente décision du Tribunal administratif du travail Cayer c. LGT Rail Canada Ltée, une directrice des ressources humaines est à l’emploi depuis moins de deux ans lorsqu’elle se fait congédier, prétendument en raison d’un conflit de personnalité avec son nouveau patron.
Elle n’aura connu son nouveau patron que pour une quinzaine de jours avant de s’absenter pour maladie pendant une vingtaine de jours. Elle revient au travail et, dix jours plus tard, elle est congédiée.
Les reproches du patron semblent superficiels : on invoquera le « manque de synergie » dans le dossier (c’eût pu être le sempiternel « manque de fit » dans un autre dossier). Bref, ces motifs sont souvent présentés pour passer outre une absence de suivi des performances ou carrément pour « tasser » quelqu’un. On en profitera alors du fait que l’employé ne peut déposer de plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, un recours qui nécessite deux ans à l’emploi et qui permet la réintégration.
Dans la cause qui nous occupe, la directrice des ressources humaines déposera une plainte selon l’article 122 pour pratique interdite, celle-ci résultant de l’exercice du droit d’absence qu’elle avait, en vertu de l’article 79.1, par lequel une période d’absence d’au plus 26 semaines pendant un an est protégée. Dans ce cas, si le congédiement est concomitant à l’absence, le fardeau de preuve est inversé : l’employeur doit alors prouver qu’il avait une cause de congédiement étrangère à l’absence pour maladie. Clairement, l’employeur n’a pas réussi à rencontrer ce fardeau en l’instance.
Un des éléments intéressant du dossier concerne la gradation des sanctions, qu’on doit observer d’une certaine façon, même si on ne cumule pas deux ans d’ancienneté.
Voyez dans les mots du juge :
[45] En fait, LTG n’a pas démontré de manière prépondérante que la fin d’emploi est étrangère à l’absence pour cause de maladie.
[46] Les raisons invoquées pour expliquer le congédiement n’ont pas le sérieux requis pour convaincre le Tribunal qu’elles en sont la véritable cause. Elles sont plutôt un prétexte pour motiver la fin d’emploi.
[47] La vingtaine de jours[8] durant lesquels Mme Cayer travaille avec le DG lui donnent peu de temps pour s’ajuster et pour réussir à travailler en harmonie avec celui-ci.
[48] Il est peu crédible qu’en si peu de temps et sur la base des quelques évènements relatés lors de l’audience que le DG puisse se forger une opinion valable sur qualité de la relation professionnelle qu’il a et qu’il aura avec Mme Cayer.
[49] À plus forte raison qu’il ne lui exprime pas sa vision, ses valeurs, ses projets et ce à quoi il s’attend d’elle. Il ne lui manifeste d’ailleurs pas ses insatisfactions ni que son emploi est en jeu. D’ailleurs, ce n’est qu’à l’audience que LTG dévoile les raisons du congédiement.
[50] Bien que les principes en matière de congédiement administratif ainsi que la règle de progression des sanctions n’aient pas à être appliqués avec la même rigueur dans le cadre d’une plainte pour pratique interdite[9], habituellement, en matière de saine gestion, un gestionnaire informe son employé de ses lacunes avant de lui imposer la peine capitale qu’est le congédiement, et ce, dans le but de lui permettre de s’ajuster ou de s’améliorer[10].
[51] Quoique le DG mentionne avoir exprimé à Mme Cayer l’importance de travailler en « cohérence » et de ne pas être dans « l’émotion », cela n’est pas suffisant.
[52] Avec ces termes, à tout le moins équivoques, Mme Cayer peut difficilement comprendre qu’il y a un problème dans leur relation, qu’elle doit modifier ses façons de faire à défaut de quoi elle sera congédiée. Le DG devait s’assurer, par ses interventions, que cette dernière comprenne ce qui ne lui convient pas et ce à quoi il s’attend. Or, il ne l’a pas fait.