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Un programmeur de production, des vacances annuelles, un licenciement, un fardeau de preuve et… la COVID-19

27 juin 2023

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause très récente du Tribunal administratif du travail Driz c. Design Ranger inc., un programmeur de production ayant gravi les échelons de l’entreprise est à l’emploi depuis environ 6 ans lorsqu’on lui annonce sa mise à pied (puis la rupture définitive de son lien d’emploi), dans le contexte mondial de la pandémie de COVID-19.

Dans beaucoup de causes ayant pour sujet principal la COVID, les employeurs réussissent à prouver que les mises à pied et les licenciements sont légitimes, vu les ralentissements économiques. C’est le cas ici.

La particularité de la cause réside plutôt dans le fait que l’employé avait choisi de se prévaloir de ses vacances annuelles au même moment où il a été mis à pied. Or, il existe plusieurs protections dans la Loi sur les normes du travail qui donnent ouverture à un recours en « pratique interdite » (122 LNT). L’une de ces pratiques interdites est la proscription à l’employeur d’user de sanctions contre un employé qui exerce un droit donné par la LNT.

Il n’est pas interdit à l’employeur de mettre à pied un employé pendant ses vacances, mais il lui est interdit de le faire en représailles à ses vacances. Ainsi, il s’opère un renversement du fardeau de preuve, dans lequel l’employeur doit alors prouver une raison légitime à la mise à pied ou au licenciement.

C’est ce que l’employeur réussit à faire ici, la cause réelle du licenciement n’étant pas une mesure de représailles aux vacances, mais bien les effets de la COVID.

Voyez la façon dont la juge administrative motive sa décision :

 

 

 

[21]      Le plaignant peut effectivement bénéficier de ce mécanisme de présomption légale, puisqu’il a établi tous les faits y donnant ouverture. Voici pourquoi.

[22]      L’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction parce qu’il a exercé un droit lui résultant de cette loi.

[23]      S’il est démontré qu’un salarié s’est prévalu d’un tel droit et qu’il a fait l’objet d’une sanction, il y a présomption simple en sa faveur que celle-ci lui a été imposée en raison de l’exercice de ce droit[7]. La jurisprudence établit en outre qu’il doit exister une certaine concomitance, à savoir un lien temporel et plausible, entre ces deux événements[8].

[24]      Lorsqu’il s’applique, ce mécanisme de présomption a ensuite pour effet de renverser le fardeau de preuve. Il incombe alors à l’employeur de démontrer que la sanction résulte d’une autre cause, étrangère à l’exercice du droit protégé par la LNT. Cette cause doit être sérieuse et ne peut constituer un prétexte pour sévir à l’endroit d’un salarié ayant exercé un droit[9].

[25]      C’est ce que le Tribunal rappelait récemment dans l’affaire Maintenance Sherbrooke inc.[10] :

[17]      Lorsque la présomption s’applique, il appartient ensuite à l’employeur de démontrer que la fin d’emploi de la salariée est attribuable à une ou plusieurs causes étrangères à l’exercice du droit protégé par la LNT. Cette cause doit être sérieuse et elle ne doit pas constituer un prétexte pour sanctionner la plaignante.

 

[Note omise]

 

[26]      Par ailleurs, comme nous l’enseigne la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Silva[11], dès qu’une sanction procède d’un motif illicite, même si celui-ci cohabite avec un autre motif légitime, la présomption en faveur du salarié n’est pas renversée.

[27]      Dans le cas qui nous occupe, l’employeur ne conteste pas que le plaignant ait exercé un droit lui résultant de la LNT en prenant des vacances annuelles[12] en avril 2020. Il confirme d’ailleurs les lui avoir autorisées. Il estime cependant qu’il y a absence de concomitance entre l’exercice de ce droit et sa fin d’emploi survenue à la fin septembre 2020.

[28]      Or, le plaignant a d’abord été mis à pied le 24 avril 2020, soit moins de deux semaines après son retour de vacances à la mi-avril. Il était initialement prévu qu’il prenne ces vacances à la fin décembre 2019, mais elles ont été reportées, car il a remplacé son collègue planificateur de production absent pour des raisons familiales.

[29]      Le plaignant n’a pas été rappelé au travail après sa mise à pied. Certes, sa fin d’emploi définitive ne lui a été annoncée que cinq mois plus tard. Cependant, lors de son témoignage, le directeur de la production et des ressources humaines indique qu’il a su entre les mois de juillet et août 2020 que le poste du plaignant serait aboli. En l’absence d’un rappel au travail, le Service des ressources humaines a ensuite procédé à la fin d’emploi définitive du plaignant en septembre. 

[30]      Dans ce contexte, le Tribunal conclut à une proximité temporelle suffisante pour établir une concomitance entre le droit exercé par le plaignant et sa fin d’emploi.

[31]      Le plaignant bénéficie donc de la présomption légale et il incombe à l’employeur de démontrer que sa fin d’emploi est étrangère à l’exercice d’un tel droit.