Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Mariane Judge
Dans une cause de la Cour supérieure de 2008, Spiering c. Novartis Pharma Canada Inc., une vice-présidente des ventes se fait offrir une indemnité de départ de neuf mois conformément à son contrat de travail à la suite de son congédiement.
Avant de travailler chez de l’employeur, l’employée travaillait auprès d’une autre compagnie depuis près de vingt ans. C’est à ce moment qu’elle s’est fait approcher par l’employeur qui lui a transmis une offre d’emploi, qu’elle a accepté trois mois plus tard.
L’employeur reconnaît qu’il ne s’agit pas d’un congédiement pour cause au sens de l’article 2094 du Code civil du Québec, mais décide de résilier le contrat estimant que l’employée n’était pas suffisamment performante. Il offre un délai-congé de neuf mois tel qu’il était prévu dans le contrat de travail de l’employée. Il plaide qu’on ne peut tenir compte du dix-huit mois d’ancienneté de l’employée chez son ancien employeur puisque celle-ci a décidé de quitter par elle-même. De plus l’employée elle-même avait suggéré le neuf mois d’indemnité dans son contrat d’emploi lors des négociations. Il estime donc qu’il faut respecter ce délai.
En revanche, l’employée estime plutôt qu’elle a le droit à une indemnité équivalente à un délai-congé de dix-huit mois en tenant compte non seulement de son année d’ancienneté chez son employeur actuel, mais également des dix-huit années de service qu’elle avait accumulé chez son ancien employeur. Elle soutient également qu’elle occupait un poste certain et rémunérateur et qu’elle n’était nullement à la recherche d’un emploi lorsqu’on l’a sollicité de manière agressive.
Le juge conclut premièrement qu’un salarié ne peut pas renoncer à l’avance à une indemnité, cette règle est d’ordre public. Il repousse donc la prétention de l’employeur voulant que le délai-congé prévu au contrat de travail soit respecté. Il conclut également qu’il faut tenir compte des années de service de l’employée auprès de son ancien employeur puisqu’elle s’est fait solliciter par l’employeur. L’importance du poste qu’elle occupait est également un facteur à considérer. Puisque l’employée s’est trouvé un nouveau poste seize mois plus tard, le juge accorde un délai-congé équivalent à cette période.
Voyez la façon dont le juge motive sa décision :
[52] Le tribunal rappelle que l’article 2091 C.c.Q. est d’ordre public.
[53] À cet égard, la Cour d’appel écrit :
- De ce qui précède, je conclus que l’intention législative sous-jacente aux articles 2091 et 2092 C.c.Q. était bel et bien, pour paraphraser les commentaires du ministre de la Justice «d’accorder aux tribunaux un large pouvoir d’appréciation » sur le caractère raisonnable et suffisant d’un délai de congé – bref de judiciariser cette question. La règle étant d’ordre public, le contrat de travail ne peut faire obstacle à ce pouvoir.
[54] Conséquemment, le tribunal conclut en l’espèce que Novartis ne peut opposer à la demanderesse la clause du contrat P-3 qui parle d’un délai de neuf mois. D’ailleurs, il est indiqué qu’il s’agit d’un minimum de neuf mois.
[55] La doctrine et la jurisprudence ont bien établi que le tribunal pouvait tenir compte des années passées chez l’employeur précédent lorsque le salarié a été incité à quitter un emploi certain et rémunérateur sur la foi de représentations portant sur des responsabilités accrues et un avenir prometteur au sein de la nouvelle entreprise.
[…]
[62] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément déterminant, le tribunal tiendra donc compte en partie des années passées chez Pfizer et des avantages que la demanderesse y a laissés en quittant cet employeur pour qui elle avait travaillé pendant plus de dix-huit ans.
[63] Quant à l’importance du poste, le tribunal rappelle que selon le propre aveu de Novartis, il s’agissait d’un poste névralgique. Dans le document que Theresa Wilson a fait parvenir à la demanderesse le 6 mars 2003, il est notamment mentionné que le vice-président des ventes supervisera 400 représentants à l’emploi de la compagnie. Quant au profil recherché, le document mentionne :
[67] En l’espèce, dans les mois suivants son congédiement, la demanderesse a fait parvenir plus de 1 300 demandes à autant d’entreprises situées aux États-Unis et au Canada. De fait, la demanderesse a finalement trouvé un emploi dans la région de Toronto en novembre 2005 soit seize mois plus tard. La première année, elle ne voyait son mari et ses enfants que les fins de semaine puisqu’elle voyageait hebdomadairement entre Montréal et Toronto. La famille a finalement déménagé dans la région de Toronto en 2006.
[68] À la lumière de ce qui précède et après avoir entendu tous les témoins pendant quatre jours, le tribunal est d’avis que Novartis aurait dû indemniser la demanderesse pour une période équivalente à seize mois de délai-congé.