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Application d’un principe : le recours en congédiement sans cause juste et suffisante peut être ouvert à un « vice-président »

17 février 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Innes c. Coginov inc., un expert en gestion documentaire et « idéateur » est embauché à titre de vice-président par la compagnie à qui il a vendu le logiciel qu’il avait créé. Il y signe un contrat d’emploi somme toute normal.

La preuve retient qu’il n’a le titre de vice-président qu’en apparence. Plusieurs de ses collègues ont le même titre, mais ils sont essentiellement des représentants. On dit que c’est pour « impressionner les clients », une pratique relativement commune.

Le plaignant est remercié de ses services dans le cadre d’une vente d’actions qui ne se déroule pas rondement, pour des motifs économiques et pandémiques. Il exerce donc des recours en vertu de la Loi sur les normes du travail, quant à un congédiement sans cause juste et suffisante. Ce recours n’est pas ouvert aux cadres dits supérieurs.

C’est cette question qui intéresse ce blogue et ses milliards de lecteurs.

Voyez ici les passages traitant de cette question et donnant ouverture au recours pour le plaignant, qui sera finalement accueilli :

 

 

 

[41]      Le cadre dit « supérieur » est exclu de la protection de certaines normes, énumérées à l’article 3(6) de la LNT, dont celle prévue à l’article 124. L’employeur considère qu’il est un cadre supérieur et qu’il ne peut donc bénéficier de ce recours. Le cadre supérieur conserve cependant le droit de contester son congédiement en vertu de l’article 122  de la LNT. Le moyen préliminaire que soulève l’employeur ne vise donc pas cette plainte.

[42]      L’expression « cadre supérieur » n’est pas définie dans la LNT, mais la jurisprudence a développé les critères pertinents pour déterminer le statut d’un employé.

[43]      S’agissant d’une exception à la LNT, loi de nature remédiatrice, à caractère social, la notion de cadre supérieur doit être interprétée restrictivement, sans toutefois perdre toute portée.

[44]      Il importe d’analyser les fonctions réellement exercées par la personne en cause, sans s’arrêter à son titre ou aux apparences. Il faut aussi considérer son statut au moment de sa fin d’emploi.

[45]      La jurisprudence reconnait généralement les six critères suivants comme pertinents :

  • La position hiérarchique de l’employé;
  • La gestion du personnel;
  • Les relations avec le propriétaire : le cadre supérieur relève, en règle générale, directement du président de l’entreprise ou de ses propriétaires;
  • Les conditions de travail du salarié;
  • La participation de l’employé à la gestion : le cadre supérieur doit participer à l’élaboration des décisions politiques de l’entreprise, à savoir les stratégies et les politiques de cette dernière, ainsi qu’à la détermination des moyens pour assurer la rentabilité ou la croissance de l’entreprise;
  • Le pouvoir décisionnel : le cadre supérieur doit jouir d’une autonomie, d’une discrétion et d’un pouvoir décisionnel important et ne pas simplement coordonner les activités de l’entreprise ou être un simple exécutant des décisions et des priorités de l’employeur.

[Nos soulignements]

 

[46]      Les cinquième et sixième critères sont prédominants, comme l’a établi la Cour d’appel dans l’affaire Commission des normes du travail c. Beaulieu.

[47]      Ces critères sont d’application variable, selon la taille, la structure et les secteurs d’activités de l’entreprise. Il s’agit d’une question de fait, qui s’apprécie selon les circonstances de chaque cas.

[48]      Finalement, c’est à l’employeur qu’il revient d’établir que le plaignant est un cadre supérieur au sens de la LNT.

LES MOTIFS SUR LE STATUT DU PLAIGNANT

[49]      L’employeur invite le Tribunal à adapter les critères jurisprudentiels aux particularités du présent dossier. Selon lui, contrairement à ce que préconise la Cour d’appel dans l’affaire Beaulieu, précitée, ceux relatifs à la participation de l’employé à la gestion et au pouvoir décisionnel ne devraient pas être considérés comme déterminants.

[50]      L’accent devrait plutôt être mis sur la situation unique du plaignant. En tant que président et fondateur de GCI, son embauche est indissociable de l’acquisition de son entreprise. Il possède une connaissance approfondie du logiciel Ultima. Puis, chez TEC, il occupe une position stratégique, par le mandat qui lui est confié de développer le marché américain. Il jouit alors d’une grande autonomie dans son travail.

[51]      Son titre et ses conditions de travail confirmeraient également son statut de cadre supérieur, ainsi que le fait qu’il relève d’Yves Payette.

[52]      Contrairement à ce que soutient l’employeur, l’analyse de la preuve, à la lumière des critères jurisprudentiels, ne permet pas d’arriver à cette conclusion.

[53]      D’une part, on ne peut présumer qu’un ancien dirigeant demeure dans une fonction de la haute direction après son embauche par le nouvel acquéreur de l’entreprise.

[54]      D’autre part, il est bien établi que le titre ne suffit pas à établir le rang hiérarchique. Il faut examiner les tâches réellement effectuées. Or, ici, le titre de vice-président, qui est attribué au plaignant, ne reflète pas la réalité. Dès la période de transition terminée, il devient un représentant, sous les ordres de Marc-André Roy, qui est lui-même vice‑président.

[55]      Le plaignant ne gère pas de personnel, ne participe pas aux stratégies et au développement de l’employeur et ne jouit d’aucun pouvoir décisionnel.

[56]      En effet, il ne travaille plus à l’idéation et se rapporte à monsieur Roy, au même titre que les cinq ou six autres représentants. Son seul contact avec monsieur Payette se résume à quelques réunions où il ne joue aucun rôle, au point où on le dispense de continuer à y assister.

[57]      À la suite de son transfert, le plaignant n’assume plus aucune de ses anciennes fonctions chez GCI. Comme il le souligne en plaidoirie, on peut aisément inférer du fait que l’employeur prête ses services à TEC qu’il n’était pas un des piliers de l’entreprise ni que sa connaissance du logiciel Ultima et de la clientèle de GCI le rendait irremplaçable.

[58]      Le plaignant devient alors un analyste parmi une quarantaine d’autres employés exerçant des fonctions similaires. Certes, il est un expert dans son domaine et il jouit d’une large autonomie dans l’exécution de ses tâches. Cependant, cela n’en fait pas pour autant un cadre supérieur.

[59]      La preuve quant à ses conditions de travail est très parcellaire et supporte pas un statut de cadre supérieur, comme le suggère l’employeur.

[60]      En effet, monsieur Payette mentionne que le salaire du plaignant est comparable à celui des autres analystes chez TEC. Sauf cette indication, la preuve est muette sur les conditions de travail des autres employés de l’employeur, ce qui ne permet pas de situer pas le plaignant.

[61]      Enfin, l’absence de passe magnétique lui permettant d’accéder aux locaux et de bureau attitré sont deux éléments qui portent plutôt à croire que le plaignant ne fait pas du tout partie de la direction.

[62]      Dans le cadre de ses fonctions, le plaignant n’entretient pas de relations avec monsieur Chapdelaine ou monsieur Payette. Comme déjà mentionné, la preuve est non contredite sur le fait qu’il se rapporte à monsieur Roy puis après son transfert chez TEC, à madame Gibson.

[63]      Les échanges qu’il a avec monsieur Chapdelaine ou monsieur Payette sont rares et surviennent dans des situations d’exception, comme lors de sa mise à pied. Qui plus est, le message courriel de monsieur Chapdelaine la lui confirmant, tant par sa teneur que par son ton, est irréconciliable avec celui qu’on adopterait à l’égard d’un membre de la haute direction.

[64]      Quant aux autres communications avec monsieur Payette, elles prennent place dans le contexte de leur relation commerciale et non dans celle d’employeur-employé.

[65]      Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le plaignant n’est pas un cadre supérieur au moment de son congédiement. Il peut donc bénéficier du recours en vertu de l’article 124 de la LNT.