Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux
Dans une décision rendue par la Cour supérieure en 2020, une relation d’affaires entre deux amis prend un tournant lorsque l’un congédie l’autre, invoquant une rupture du lien de confiance.
En 2015, le demandeur se joint à l’agence de représentation de producteurs de vin et spiritueux dirigée par son ami et ancien partenaire d’affaires, le défendeur. Le demandeur se fait rapidement attribuer d’importants mandats, notamment l’acquisition de portefeuilles, ce qui lui vaut ultimement le titre de vice-président finances et administration.
Les versions divergent toutefois quant à l’attribution d’un mandat additionnel, celui qui est au cœur du litige. Selon la version du demandeur, le défendeur lui aurait confié qu’il envisageait de prendre sa retraite et lui aurait demandé de trouver un acheteur pour la compagnie. Le défendeur réfute cette prétention en affirmant n’avoir jamais eu l’intention de vendre son entreprise dans un avenir rapproché.
Lorsque le demandeur lui annonce finalement qu’il souhaite acquérir l’agence en partenariat avec des investisseurs, le défendeur est sous le choc. Il soupçonne le demandeur d’avoir manigancé dans son dos et d’avoir divulgué des informations sur l’agence à ces investisseurs. Il procède donc au congédiement du demandeur, en justifiant cette décision par une rupture du lien de confiance. Le demandeur conteste son congédiement auprès de la Cour supérieure et fait valoir une série de réclamations, notamment une indemnité de départ correspondant à deux années de salaire, la valeur de ses bonus et autres avantages, ainsi que des dommages moraux et punitifs.
Au regard de la preuve, la Cour supérieure confirme la version du demandeur à l’effet que le défendeur lui avait confié la recherche d’un potentiel acheteur. Elle est également d’avis que le congédiement était injustifié, puisqu’il reposait sur la base de soupçons et non de faits, et que le projet du demandeur d’acquérir l’agence ne constituait pas une violation à son obligation de loyauté. Finalement, la Cour consent à une indemnité de départ de 141 458,33$ mais refuse les demandes additionnelles.
Voyez comment le juge motive sa décision :
[38] Pour les raisons qui suivent, le Tribunal estime que le congédiement de M. Paquet n’était pas justifié.
[39] Tout d’abord, le Tribunal retient de la preuve que M. Richard a effectivement confié à M. Paquet le mandat de trouver des acheteurs pour son entreprise lorsque ce dernier est devenu le vice-président de Vini-Quatro en octobre 2015. De façon générale, le témoignage de M. Paquet était fort crédible car livré sereinement et sans hésitation aucune, alors que celui de M. Richard était parfois plus hésitant. Surtout, le courriel que M. Richard a transmis à M. Chouinard du Fonds de solidarité le 21 août 2017[18] établit clairement que les rencontres avec les investisseurs en 2016 étaient bel et bien relatives à une possibilité d’acquisition de l’entreprise par des tiers : M. Richard indique que les fonds privés rencontrés depuis un an n’offraient pas de garantie à long terme pour les employés-clés et que son actionnaire minoritaire ne verrait pas cela d’un bon œil. Il est donc clair que M. Richard envisage alors la vente de son agence, mais avec des modalités permettant de garder le management en place. C’est dans cette optique qu’il désire explorer le programme de MBO du Fonds de solidarité. Ce courriel, qui émane de M. Richard lui-même, confirme donc le témoignage de M. Paquet quant aux démarches visant à vendre l’entreprise à plus ou moins court terme.
[40] Ce document confirme par ailleurs le témoignage de M. Paquet selon lequel, après l’acquisition du portefeuille de Mondia, M. Richard désirait toujours explorer les possibilités de vendre son entreprise. M. Richard était d’ailleurs en copie quant à certains des courriels de « relance » de M. Paquet à certains investisseurs après l’acquisition de Mondia[19]. Ainsi, il est inexact de dire qu’aucun mandat n’a été confié à M. Paquet afin de trouver des acheteurs pour l’entreprise, ou encore qu’il s’agissait d’un mandat périmé (« vieux mandat ») en janvier 2018, comme l’a affirmé Me Deveau lors de la réunion qui a suivi le congédiement du demandeur. M. Paquet a donc raison de dire que l’idée présentée à M. Richard lors du déjeuner du 29 janvier, soit une offre de rachat avec prise de contrôle graduelle, était précisément ce que M. Richard avait en tête pour assurer la relève de son entreprise.
[41] En second lieu, la preuve révèle que M. Richard a tenu pour acquis, au moment de l’annonce faite par M. Paquet, que ce dernier avait nécessairement transmis à des tiers des informations confidentielles relatives à la compagnie. La lettre de congédiement indique clairement que des informations confidentielles « ont été divulguées » sans autorisation. En outre, l’interrogatoire au préalable de M. Richard du 20 novembre 2018 démontre sans équivoque que ce dernier a tenu pour acquis que M. Paquet avait transmis des informations confidentielles à des tiers, mais sans en avoir aucune preuve tangible:
387Q. Je vais revenir tantôt. Vous rajoutez l’avant-dernier paragraphe « Vous n’êtes pas sans savoir que ces gestes… ». Or, le geste là, c’est le groupe ? C’est quoi ce que vous… « ces gestes et manœuvres sont graves »
- Oui.
388 Q. Or, quels sont les gestes et les manœuvres auxquelles vous faites référence qui sont graves ?
- Bien, c’est celles qui sont sous-entendues en haut, c’est-à-dire d’avoir monté un projet sans m’en avoir parlé, dans lequel ça impliquait la transaction de la compagnie, une transaction sur la compagnie, d’avoir fourni de l’information…parce que, tu sais, on peut jouer sur les mots, mais moi je n’ai jamais connu aucun investisseur qui était prêt à investir à un projet…(…)
389Q. Non, je ne veux pas avoir dans votre expérience.
- Oui, mais…
390 Q. Ici, là, la preuve …avez-vous une preuve ?
- Non, je n’ai pas de preuve.
391Q. Ok.
- Je n’ai pas de preuve, puis j’avais suffisamment perdu…
[Procureur de la défenderesse] Ça, c’est une question de droit aussi, là.
392Q. Non, mais avez-vous un fait ? Avez-vous quelque chose…Maître Gravel, à telle date il s’est transféré telle pièce du point A au point B ?
- Non, non.[20]
[42] Ainsi, et cela est crucial en l’espèce, M. Richard prend la décision de congédier M. Paquet en présumant que ce dernier a transmis de l’information confidentielle à des tiers mais sans en avoir aucune preuve et sans même procéder à aucune vérification auprès du principal intéressé. M. Richard a tout simplement considéré qu’il y avait eu une telle transmission d’information confidentielle sans avoir la moindre preuve à cet égard. M. Paquet est donc congédié sur de simples soupçons qui ne font l’objet d’aucune preuve, ni même de vérifications sommaires de la part de la défenderesse. Or, il aurait été nécessaire pour l’employeur, avant de procéder au congédiement de M. Paquet, de savoir précisément quelles informations confidentielles auraient pu être transmises et à qui. De simples présomptions fondées sur l’expérience générale de M. Richard ne suffisent pas.
[43] La personne avec qui M. Paquet avait eu un déjeuner pour explorer la possibilité de monter une structure pour procéder à l’acquisition d’Univins, soit M. Michel Ringuet, a confirmé lors de son témoignage que rien de précis n’était alors en place et que les pourparlers avec M. Paquet n’étaient qu’à un stade très préliminaire. M. Paquet et lui ont discuté d’une idée d’acquisition, mais aucune structure précise, aucun chiffre n’était alors sur la table. D’ailleurs, le courriel que M. Paquet a transmis à M. Ringuet le 30 janvier 2018 le confirme[21]. Si on avait donné la chance à M. Paquet de donner sa version des faits avant de le congédier, ce dernier aurait pu expliquer qu’il n’avait pas dans les faits transmis d’informations confidentielles à des tiers.
[44] Dans Kajoyan c. Premier Salons International inc.[22], le juge Maughan de notre Cour rappelle qu’un employeur doit se baser sur des éléments probants avant de conclure qu’un employé a violé ses engagements et qu’il doit notamment lui donner l’occasion de donner sa version des faits […]
[45] Cela va de soi car, s’il ne fait pas enquête, l’employeur ne possédera généralement pas l’information lui permettant de déterminer s’il existe ou non un motif sérieux de congédier un employé.
[46] Or, rien de cela n’a été fait ici avant de prendre la décision de congédier M. Paquet qui a même cru à une blague lorsque M. Richard lui en a fait l’annonce le 1er févier 2018.
[47] Par ailleurs, le simple fait que M. Paquet indique à M. Richard qu’il a l’intention de former un groupe pour lui faire une offre ne suffit pas à justifier un congédiement, car cela ne constitue pas en soi une violation de l’obligation de loyauté. Si M. Richard, en raison notamment des difficultés auxquelles l’entreprise faisait alors face, ne désirait plus vendre son entreprise dans un horizon plus ou moins lointain (alors qu’il explorait encore des possibilités à cet égard quelques mois auparavant), il n’avait tout simplement qu’à le dire à M. Paquet lorsque ce dernier lui a indiqué être intéressé à racheter sa participation avec d’autres. En réalité, M. Paquet a précisément fait ce qu’il devait faire en un tel cas, soit aviser M. Richard de ses intentions avant d’aller plus loin. Or ce dernier, plutôt que de dire que cela ne l’intéresse pas ne dit rien sur le moment et congédie M. Paquet quelques jours plus tard, sans preuve de faute ni sans lui donner la moindre chance de s’expliquer[24].
[48] Ainsi, il faut conclure qu’Univins n’a pas établi qu’elle possédait un motif sérieux de congédier M. Paquet le 1er février 2018.