Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux
Dans l’affaire récente Madani c. Groupe Spinelli (2975131 Canada inc,), la Cour supérieure se penche sur les motifs sérieux entourant le congédiement d’un cadre.
Après plus de 12 années de service, le demandeur, qui occupait à ce moment un poste de gérant, est congédié. L’employeur lui verse une indemnité de fin d’emploi de huit semaines, invoquant que le congédiement est dû à des motifs sérieux. En effet, il reproche au demandeur d’avoir largement manqué à ses obligations de cadre à l’occasion d’événements survenus dans les années précédentes.
Notamment, le demandeur aurait soutenu activement des employés lorsqu’ils ont envoyé à la direction une déclaration faisant état de leur opinion sur les horaires de travail, bien qu’il fût censé représenter les intérêts de la direction en raison de son poste de gérant. Le demandeur aurait également utilisé la pompe à essence du concessionnaire pour son véhicule personnel alors qu’il n’en avait pas le droit. Ces agissements, ainsi que bien d’autres, auraient contribué à rompre le lien de confiance entre le demandeur et son employeur.
Lorsqu’un tribunal doit trancher si un congédiement est fait sur la base d’un motif sérieux (ou une « cause juste et suffisante »), il revient à l’employeur de faire la preuve d’une telle prétention. Si celui-ci réussit à en convaincre le tribunal, il n’est pas tenu de verser une indemnité de départ à l’employé congédié. C’est la conclusion à laquelle en arrive la Cour supérieure dans cette affaire. Elle estime que les manquements du demandeur constituent une cause juste et suffisante à son congédiement. La demande de l’employé, dont l’ensemble des réclamations s’élève à environ 300 000$, est rejetée dans son entièreté.
Voyez comment le tribunal motive sa décision :
[124] Le Tribunal constate que Spinelli a respecté son fardeau de démontrer que le comportement de M. Madani justifiait son congédiement.
[125] D’autres situations et incidents faisant état de non-collaboration ou manque de loyauté de la part de M. Madani ont été débattus à l’audience. Il n’est pas nécessaire de les analyser dans le cadre du présent jugement. Au mieux eu égard à la théorie de la cause de M. Madani, cette analyse se solderait par un constat neutre, c’est-à-dire ni favorable à l’employé, ni favorable à l’employeur.
[126] Toutefois, les problématiques plus importantes soulevées par l’employeur pour justifier le congédiement selon la lettre de fin d’emploi, tels qu’abordées au présent jugement, illustrent que M. Madani a notamment fait défaut de respecter son obligation de loyauté envers Spinelli, qu’il faisait preuve d’insubordination et avait un comportement inacceptable vis-à-vis son supérieur.
[127] En tant que cadre, le devoir de loyauté exigible d’un employé comme M. Madani est plus élevé, car il représente l’employeur auprès des employés.
[128] Son attitude et les propos qu’il entretenait au sujet de M. Bissonnette ne sont pas acceptables. Ils sont irrespectueux et contraires aux rôles et responsabilités de M. Madani auprès des employés, à savoir, notamment, qu’il doit agir de manière à obtenir l’adhésion et le respect des employés à l’égard des politiques et décisions de l’employeur, non pas supporter leur opposition à celles-ci ou encore dénigrer son supérieur immédiat sur la base de sa propre interprétation non vérifiée de certaines situations et qu’au bout du compte, l’analyse des faits ne supporte pas.
[129] La problématique de l’essence n’est pas qualifiée de vol par l’employeur dans la lettre de fin d’emploi, mais d’abus de confiance de la part de M. Madani. Celui-ci fait preuve d’insubordination en ne respectant pas les consignes qui lui ont été expliquées à cet égard. De plus, après que M. Bissonnette eut vérifié les montants d’essence pris à la pompe pour le véhicule de M. Madani à l’époque où la dépense de 150 $ par mois lui était autorisée en 2017 par M. Garcia, il a constaté que la limite mensuelle de 150 $ était souvent dépassée[35] de manière non négligeable[36], et ce, en excluant les remplissages liés aux courses effectuées au bénéfice de la succursale.
[130] La raisonnabilité de la cause du congédiement s’apprécie à la lumière de divers facteurs, tels l’importance du poste occupé, les degrés de fautes commises, la nature de l’emploi, etc. L’insubordination ou l’indiscipline grave, certains conflits d’intérêts, le manque de respect seront des motifs justifiant un congédiement sans préavis[37].
[131] Appréciant la gravité et la suffisance des motifs de congédiement invoqués par Spinelli en fonction des circonstances de la présente affaire, le Tribunal conclut que le renvoi sans préavis était légitime. Les agissements de M. Madani ont affecté la bonne exécution de ses fonctions et ont nui au climat de travail.
[132] Spinelli a démontré que M. Madani n’exécutait plus convenablement ses obligations contractuelles envers l’employeur. Il ne démontrait plus le niveau d’intégrité dont il devait faire preuve. Étant cadre, il était tenu de donner l’exemple. Or, sur une relativement courte période, entre l’automne 2017 et la fin de l’hiver 2018, ses faits et gestes s’avéraient irrespectueux des consignes de l’employeur et de la personne de M. Bissonnette, et ce, au vu et su d’autres employés.
[133] En l’espèce, les manquements ou fautes de M. Madani, pris dans leur ensemble, valident son congédiement pour motif sérieux. L’employeur lui a donné toutes les chances de s’amender, par la suspension de l’automne 2017, par des avertissements et des rencontres.
[134] Les fautes de M. Madani, en tant que cadre, sont graves. Il a perdu la confiance de son employeur par ses attitudes de confrontation et ses propos dénigrants à l’égard de M. Bissonnette. Il ne s’est pas conformé aux consignes quantitatives de remplissage d’essence pendant la période où ces remplissages lui étaient permis, et il n’a pas respecté la consigne de cesser les remplissages lorsqu’elle lui fut donnée.
[135] Les années antérieures de bonne conduite et de bon rendement de M. Madani, bien que considérées par le Tribunal, ne permettent pas en l’espèce d’atténuer suffisamment les fautes reprochées pour rendre le congédiement injustifié[38].