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Congédiement pour motif sérieux: l’obligation de l’employeur d’agir avec respect et civilité

22 août 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux

 

 

Dans une décision rendue par la Cour d’appel en 2020, Carignan c. Maison Carignan inc., le tribunal se penche sur le cas d’un directeur général congédié par le conseil d’administration de sa propre entreprise.

 

Le demandeur co-fonde en 1989 un centre de thérapie venant en aide aux toxicomanes et aux personnes atteintes d’alcoolisme, au sein duquel il occupe le poste de directeur général. Après 25 ans de service, il est congédié sans préavis pour motifs sérieux. Le demandeur reçoit la nouvelle par une lettre de congédiement postée à son domicile. Aucune rencontre n’est organisée à cet effet, ce qui l’empêche de s’exprimer sur la situation. De plus, les conclusions de l’enquête le concernant ne lui sont pas communiquées.

 

Le demandeur soumet une demande à la Cour supérieure, réclamant notamment la réintégration à son poste, une compensation correspondant à deux années de salaire, ainsi que des dommages moraux pour les troubles, ennuis et inconvénients ayant découlé de son congédiement abusif. La demande est rejetée dans son intégralité.

 

Toutefois, la Cour d’appel se montre plus clémente et accorde à l’appelant des dommages s’élevant à 20 000$ pour le préjudice moral subi. Elle reproche à l’employeur d’avoir mis fin à la relation d’emploi de façon brutale, sans égard pour les nombreuses années de dévouement de l’appelant envers l’organisme qu’il avait lui-même fondé. Ainsi, même en présence d’un motif sérieux justifiant un congédiement, l’employeur se doit d’agir avec respect et civilité.

 

Voyez comment le tribunal motive sa décision :

 

[24]        Le quatrième moyen d’appel concerne l’abus de l’intimée dans l’exercice de son droit de résilier unilatéralement le contrat de travail de l’appelant. Il réclame 100 000 $ à ce titre[19].

[25]        Le juge rejette la demande de l’appelant. Il indique que la conduite de l’intimée n’était pas déraisonnable et qu’elle ne constituait pas une faute distincte donnant ouverture à l’octroi de dommages moraux[20].

[26]        Le juge se méprend. Voici pourquoi.

[27]        Il est établi que l’exercice du droit de résilier unilatéralement le contrat de travail entraîne un préjudice certain au salarié qui en est l’objet. Comme le souligne le juge Gendreau dans Société Hôtelière Canadien Pacifique c. Hoeckner : « Tout congédiement même celui réalisé dans les meilleures conditions, provoque chez celui qui en est éprouvé un véritable effet traumatisant souvent marqué par l’inquiétude, l’anxiété et le stress »[21]. Ce préjudice moral subi par un salarié dans les circonstances d’une rupture du lien d’emploi exercé raisonnablement ne se prête pas à une compensation d’autant que lesdites circonstances constituent un critère d’évaluation de la durée du délai de congé[22].

[28]        Il en va autrement lorsque le comportement entourant l’exercice du congédiement est excessif ou déraisonnable ou que le congédiement est exercé de mauvaise foi ou encore, pour reprendre les propos des auteurs Baudoin, Jobin et Vézina : « de façon brutale, vexatoire ou malicieuse, sans se soucier des conséquences prévisibles de tels gestes pour l’employé »[23]. Il y a alors abus du droit de congédier dont les articles 6, 7, 1375 et 2092 C.c.Q se font l’écho.

[29]        Ayant à l’esprit ces principes, regardons de quelle façon l’intimée a exercé ici son droit de rompre unilatéralement le lien contractuel l’unissant à l’appelant.

[30]        L’appelant est suspendu avec solde pour fins d’enquête le 17 février 2014. Il est avisé le 11 avril 2014 que « [l]es faits révélés de façon préliminaire jusqu’à maintenant, commandent l’ouverture d’une enquête par une firme de professionnels en la matière »[24]. Comme question de fait, l’intimée confie à la société Deloitte le mandat d’enquêter sur la gestion de l’appelant en sa qualité de directeur général[25]. L’appelant collabore à l’enquête en répondant par écrit à plus de 200 questions et en rencontrant à deux reprises les enquêteurs au bureau de Deloitte à Trois-Rivières. Au terme de l’enquête, l’appelant apprendra son congédiement en recevant à son domicile une lettre signifiée par un huissier le 1er décembre 2014.

[31]        C’est donc en lisant cette lettre que l’appelant connaîtra les motifs pour lesquels l’intimée le congédie, motifs qui s’appuient sur les conclusions de l’enquête de Deloitte dont les résultats ne lui seront jamais communiqués[26].

[32]        Cette façon de congédier, soyons clairs, est on ne peut plus brutale et dissociée de l’exercice raisonnable du droit de congédier. Il est pour le moins inconcevable d’avoir réservé un tel sort à l’appelant, le cofondateur de l’intimée, son seul directeur général en 25 années d’existence et sa figure de proue. Un comportement d’autant plus mortifiant que l’intimée savait que l’appelant avait bâti de son incessant labeur une organisation réputée à la vocation sociétale très importante, qu’il avait fait de la Maison Carignan l’œuvre de sa vie et qu’il l’avait fait rayonner dans toute la région. Même si elle avait un motif sérieux de résilier unilatéralement son contrat de travail, l’intimée n’était certes pas dispensée d’agir d’une manière raisonnable. En tout état de cause, elle aurait dû prendre les mesures nécessaires pour agir avec transparence et civilité, afin d’atténuer l’avanie du congédiement et non l’aggraver[27].

[33]        Dans les circonstances particulières de cette affaire, et sans avancer l’idée que l’intimée ait pu être assujettie à un devoir d’équité procédurale, qu’en aurait-il coûté à celle-ci de convoquer l’appelant à une rencontre, de l’aviser des résultats de l’enquête menée par la société Deloitte, de lui signifier les motifs pour lesquels on résiliait unilatéralement son contrat de travail et de lui permettre de s’exprimer avant de mettre formellement un terme à son emploi.

[34]        Dans une communication du 12 novembre 2018, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés décrit le congédiement comme « un processus délicat à réaliser dans les règles de l’art »[28]. Lorsqu’il faut congédier, y est-il écrit, « il faut garder l’humain au cœur du processus ». En l’espèce, l’intimée a failli à cette tâche de garder l’humain au cœur du processus, une tâche pourtant simple, élémentaire et fondamentale.

[35]        Reste à déterminer le quantum du préjudice moral subi par l’appelant. L’appelant témoignera avoir souffert et s’être senti « écrasé comme une punaise », dira qu’il est l’objet de regards stigmatisants dans son village, les gens croyant qu’il est un voleur ou un fraudeur. Il subira une intervention chirurgicale à l’œsophage en septembre 2015 qu’il attribue au stress découlant de la décision de congédiement. En considérant la faute commise par l’intimée et les répercussions sur l’appelant, des dommages moraux de 20 000 $ sont octroyés à ce dernier.