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Contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée: l’importance de la clause de résiliation

26 juin 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux

 

 

 

Dans une décision très récente de la Cour d’appel, Golf des Quatre Domaines inc. c. Bélanger, un employeur et son ex-employée sont en désaccord sur les circonstances de la fin d’emploi de cette dernière et la nature du contrat qui les unissait.

 

L’employée travaillait pour le Golf des Quatre Domaines depuis 1999 à titre d’adjointe administrative. En 2017, alors qu’une restructuration complète de la compagnie est envisagée, elle est promue à un poste de directrice générale pour diriger le projet aux côtés du président de la compagnie. Toutefois, elle est rapidement laissée à elle-même lorsque le président cesse de s’investir dans le projet et de répondre à ses messages, au point où elle se retrouve complètement submergée par la charge de travail. À la même période, la demanderesse signe un contrat d’emploi à durée indéterminée avec le Golf, officialisant ses nouvelles fonctions.

 

Quelques mois plus tard, vu l’insatisfaction continue de la demanderesse face aux agissements du président, les parties décident de conclure un « Addendum » pour atténuer les tensions. L’entente prévoit qu’une somme de 10 000$ sera versée annuellement pendant 5 ans à la demanderesse. Cette dernière voit cette entente comme un nouveau contrat à durée déterminée remplaçant ainsi l’acte précédent. À l’inverse, le Golf soutient que les parties demeurent liées par le contrat à durée indéterminée conclu quelques mois plus tôt.

 

La demanderesse tombe en congé de maladie, au cours duquel elle reçoit une lettre du Golf l’avisant qu’elle est rétrogradée à son poste d’adjointe administrative, ce à quoi elle s’oppose. L’employeur interprète ce refus comme une démission de sa part. La demanderesse allègue plutôt qu’elle a été congédiée sans motif sérieux.

 

La Cour supérieure est saisie de l’affaire et doit se positionner quant aux éléments qui divisent les parties. Elle tranche en faveur de la demanderesse, estimant que celle-ci a été congédiée sans motif sérieux et que le contrat était à durée déterminée. Or, la Cour d’appel, bien qu’elle soit d’accord avec la conclusion de la juge concernant le congédiement, déclare que le contrat était plutôt à durée indéterminée.

 

Voyez comment le tribunal motive sa décision :

 

 

 

[28]       À mon avis, la juge n’a pas commis d’erreur révisable en concluant que l’intimée avait fait l’objet d’un congédiement. La position de l’appelante est contradictoire dans la mesure où elle nie, d’une part, avoir congédié l’intimée et soutient, d’autre part, qu’elle s’attendait à ce que cette dernière retourne dans ses anciennes fonctions, tel que prévu à la clause 5.1 de son contrat de travail.

[29]       Or, il convient de rappeler que cette clause prévoyait la résiliation du contrat par l’employeur moyennant un préavis de huit semaines. En cas de résiliation, l’intimée avait demandé l’ajout d’une option pour un retour dans ses fonctions antérieures advenant le non-rachat des actions de l’ancien directeur général qu’elle était appelée à remplacer. Or, ce rachat a eu lieu.

[30]       Le mis en cause a par ailleurs admis qu’il fallait d’abord résilier le contrat de l’intimée et lui donner un préavis de huit semaines avant de pouvoir lui imposer un changement de poste :

[…] Je lui ai envoyé une lettre pour être huit semaines. On le sait… on reconnait qu’on a une pénalité à lui payer. Je n’ai pas de trouble avec ça.

[…]

[…] c’était entendu que si je la changeais de poste pour revenir à son autre poste, elle devait avoir huit semaines de… plus son dix mille (10 000) de bonus par année.

[31]        Or, la lettre du 30 novembre 2018 met fin au contrat de l’intimée sans mention d’un préavis et modifie unilatéralement et de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de l’intimée. C’est donc à juste titre que la juge de première instance conclut que l’intimée n’était pas tenue d’accepter ces modifications et qu’elle a fait l’objet d’un congédiement.

[32]       Par ailleurs, puisque la résiliation du contrat de travail sans préavis ne pouvait avoir lieu que pour un motif sérieux suivant l’article 2094 C.c.Q.[10], que ce soit dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ou dans celui d’un contrat à durée indéterminée[11], l’appelante devait faire la démonstration « d’un manquement grave ou répété de l’autre partie à l’une de ses obligations »[12]. Or, l’appelante n’a jamais prétendu avoir résilié le contrat pour un motif sérieux. Il ne peut dès lors s’agir que d’un congédiement sans motif sérieux, comme l’a conclu la juge de première instance.

[…]

[33]       À cette étape, la juge devait déterminer la nature du contrat d’emploi. Or, tel que l’a souligné la Cour à plus d’une reprise[13], il n’est pas toujours facile d’identifier les critères juridiques permettant de distinguer le contrat à durée déterminée du contrat à durée indéterminée, surtout lorsqu’il comporte des clauses qui se rapportent aux deux catégories. Par ailleurs, la présence d’un terme ne suffit pas à transformer ce contrat en contrat à durée déterminée, surtout lorsqu’il accorde à l’employeur une faculté de résiliation moyennant préavis[14].

[34]       Il incombe à la partie qui prétend bénéficier d’un contrat à durée déterminée d’en faire la démonstration, en prouvant l’intention commune des parties de conclure un tel contrat, laquelle doit être « claire et sans équivoque » […]

[35]       Bien que l’interprétation d’un contrat impliquant l’examen d’une multitude d’éléments factuels demeure une question mixte de fait et de droit, par ailleurs assujettie à une norme d’intervention élevée, soit celle de l’erreur manifeste et déterminante[16], j’estime qu’en l’espèce, l’analyse de la juge de première instance est entachée d’une telle erreur et commande une intervention de la Cour. Voici pourquoi.

[36]       D’abord, la juge ne semble pas tenir compte de l’ensemble des dispositions du contrat d’emploi. Ses motifs suggèrent qu’elle a déterminé la nature du contrat en fonction du texte de l’addendum et des témoignages des parties […]

[37]       La jurisprudence sur laquelle elle s’appuie préconise pourtant la recherche de la véritable intention des parties afin de déterminer la nature juridique du contrat de travail à partir de l’ensemble des dispositions contractuelles[18]. Certes, la juge tient compte de la clause 2.4 du contrat d’emploi initial lorsqu’elle interprète l’addendum, mais elle omet de considérer la faculté de résiliation qui y est prévue.

[38]       De plus, l’appelante soutient, à juste titre, que le « texte de l’addendum ne modifie pas […] les clauses 5.1 et 5.4 du contrat de travail déjà signé entre les parties et n’indique pas qu’elles ne sont plus applicables »[19]. Or, cet addendum renforce l’idée même de l’applicabilité des clauses, prévoyant la faculté de résiliation du contrat par chacune des parties, en stipulant que : « Dans le cas où il y aurait un départ volontaire ou un congédiement le montant de l’année en cours lui sera payé et les montants des années subséquentes seront annulés ».

[39]       Dans Shawinigan Lavalin, le juge Jean-Louis Baudouin écrivait que la présence d’une faculté de résiliation large et partagée entre les parties tend à signaler leur intention commune de ne pas se lier pour une durée fixe […]

[40]       Puis, dans Thibodeau, il précisait aussi que l’ajout d’un terme ne transforme pas automatiquement le contrat de travail en un contrat à durée déterminée, lorsque les deux parties se réservent un droit de résiliation […]

[41]       Ainsi, à mon avis et avec égards pour la juge de première instance, cette dernière commet une erreur manifeste et déterminante en omettant de tenir compte de la faculté de résiliation des deux parties, prévue dans le contrat initial et réaffirmée dans l’addendum, alors qu’il s’agit d’un élément propre au contrat à durée indéterminée.