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Cour d’appel: la fin d’emploi et les régimes incitatifs

18 juin 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux

 

Dans une décision récente de la Cour d’appel, Endeavour Canada Holdings Corporation c. Boucher, un contremaître de site minier est congédié en pleine pandémie de Covid-19 pour avoir refusé de retourner travailler à l’étranger.

 

Le demandeur occupait l’unique poste de contremaître général électrique pour une société montréalaise exploitant des mines en Afrique de l’Ouest. Pendant ses 11 années à l’emploi, il alternait entre des périodes de travail sur les sites miniers et de courtes périodes de repos au Québec. Or, à l’aube de la Covid-19, il décide de retourner au Québec plus tôt que prévu, craignant pour son état de santé vulnérable. Son employeur le met alors en congé sans solde, mais lorsqu’il manifeste le désir de prolonger ce congé, il se fait congédier.

 

Le demandeur saisit la Cour supérieure afin qu’elle détermine si son congédiement était injustifié, et le cas échéant, s’il a droit à des indemnités. La Cour est d’avis qu’il a effectivement été congédié sans cause juste et suffisante, d’abord parce que son employeur ne l’avait jamais avisé qu’il s’exposait à un congédiement s’il refusait de retourner au travail, et parce que l’employé avait continué d’effectuer ses prestations de travail durant son congé sans solde, prouvant qu’il n’avait pas abandonné ses fonctions et qu’il ne commettait pas d’insubordination.

 

En ce qui a trait aux montants accordés au demandeur, la Cour convient de lui accorder un délai de congé de 147 250$, en plus de 8 333$ à titre de bonis impayés, 600$ en remboursement de frais de fiscaliste et 123 934$ en vertu d’un régime d’unités d’actions. C’est ce dernier montant qui fait l’objet d’un pourvoi à la Cour d’appel.

 

L’employeur conteste le calcul effectué par la juge de première instance, arguant que celle-ci a inclus toutes les unités d’actions accordées avant le congédiement. Selon l’employeur, le régime stipule que lors d’une cessation d’emploi « sans cause », le nombre d’unités d’actions acquises doit être ajusté proportionnellement au nombre de jours travaillés par le participant durant le cycle de rendement.

 

Le tribunal rejette l’appel, évaluant que les erreurs commises par la juge n’étaient pas déterminantes.

 

Voyez comment le tribunal motive sa décision :

 

[9]       Toutefois, ces erreurs ne s’avèrent pas déterminantes, en ce que le montant accordé par la juge correspond, de fait, à la valeur de rachat des unités d’actions à laquelle a droit l’intimé en vertu du Régime, interprété à la lumière de l’art. 2092 C.c.Q.

[10]    En effet, les droits d’un employé lors d’un congédiement sans motif sérieux en vertu d’un régime d’intéressement à long terme de la nature du Régime doivent être déterminés à la lumière de son libellé et de la loi. Dans cette perspective, chaque cas demeure d’espèce.

[11]    En l’occurrence, le Régime vise à « attirer et retenir des employés clés », mais également à « leur procurer un incitatif supplémentaire pour leurs efforts » (art. 1). Ses participants sont désignés par le conseil d’administration, à sa discrétion, qui établit le nombre d’unités d’actions octroyées à chacun d’eux, ainsi que les conditions d’acquisitions applicables (art. 6). À la fin d’un cycle de rendement, en principe d’une durée de trois ans, les unités d’actions deviennent acquises en fonction du niveau de réalisation des conditions d’acquisition établies lors de l’octroi (art. 7). La valeur de rachat des unités d’actions est déterminée, quant à elle, en multipliant le nombre d’unités d’actions acquises à la fin du cycle de rendement par le prix de l’action de l’appelante « au cours des cinq (5) jours ouvrables précédant la fin dudit cycle de rendement » (art. 11). Le paiement est effectué dans les 90 jours suivant la fin du cycle (art. 11, in fine). En certaines circonstances, telles une fusion avec une autre société ou une offre d’achat de l’entreprise, le conseil d’administration peut « devancer la date d’acquisition d’un ou de plusieurs cycles de rendement ». La valeur de rachat est alors basée sur la valeur des actions de l’appelante « à la date d’une telle transaction » (paragr. 12a).

[12]    L’intimé participe au Régime depuis 2016. Il est acquis que l’intimé s’était vu octroyé respectivement 7 297 unités d’actions en 2018, 9 416 en 2019 et 10 288 en 2020, le nombre d’unités ayant notamment été déterminé en fonction de son salaire annuel. Aucune condition d’acquisition particulière pouvant, à titre d’exemple, être liée à la performance de l’employé n’avait été établie lors de l’octroi de ces unités. 

[13]    Les unités d’actions octroyées à l’intimé pendant son emploi n’ont pas été annulées en raison de la fin de son emploi au 6 mai 2020. Comme mentionné précédemment, les paragr. 9a) et 9c) du Régime, lus conjointement, énoncent que le participant qui cesse d’être un employé (en raison d’un congédiement sans motif sérieux) « continue d’acquérir des unités d’actions jusqu’à la fin du cycle de rendement », sujet à la règle du prorata établi en fonction du nombre de jours travaillés « dans ledit cycle ». 

[14]    L’application de cette disposition soulève toutefois ici deux questions : quelle est la date de la fin du cycle de rendement pour chacune des années en litige et comment appliquer la règle du prorata en fonction du nombre de jours travaillés pour la période suivant la fin d’emploi, à la lumière de l’art. 2092C.c.Q. Il y a lieu de les aborder dans cet ordre.

[15]    Quant à la date de la fin des cycles, l’appelante reconnaît que le conseil d’administration de Semafo a devancé au 1er juillet 2020 « la date d’acquisition [des] cycles de rendement » des unités octroyées en 2018, 2019 et 2020, conformément à l’art. 12 du Régime. Une telle décision a été prise le 12 mai 2020 à l’occasion de l’annonce de l’acquisition de l’entreprise par l’appelante. […]

[16]    À l’audience, elle précise que le 1er juillet 2020 est la date retenue pour déterminer les droits des participants toujours à son emploi, que ces derniers ont reçu, dans les jours suivant le 1er juillet 2020, la valeur de rachat de leurs unités d’actions ainsi acquises et que l’appelante a alors mis fin du Régime.

[17]    Malgré tout, l’appelante soutient qu’à l’égard de l’intimé, la date de fin du cycle de rendement pour les années en litige (2018, 2019 et 2020) doit suivre la règle générale énoncée au Régime, soit le terme de trois ans prévu à l’origine, et non la date du 1er juillet 2020. La fin du cycle pour les unités octroyées en 2018 serait donc le 31 décembre 2021, celle de 2019 serait le 31 décembre 2022 et finalement, celle de 2020 serait le 31 décembre 2023. 

[18]    Une telle lecture est contraire aux termes du Régime qui prévoit plutôt que l’acquisition des unités d’actions a lieu « à la fin du cycle de rendement ». En effet, il faut la fin d’un cycle pour que les actions soient acquises (art. 7) et qu’elles soient payables (art. 11). Rien dans le Régime, pas plus que son art. 12, ne permet de soutenir que la date de fin de cycle pourrait différer selon que le participant est toujours à l’emploi ou a cessé de l’être au sens du paragr. 9a). Rappelons que, s’autorisant de l’art. 12 du Régime, l’appelante écrivait que le conseil d’administration « a la discrétion de devancer un ou plusieurs cycles de rendement » (supra, paragr. [15]), assimilant ainsi une telle discrétion à celle de « devancer la date d’acquisition d’un ou de plusieurs cycles de rendement » (art. 12). C’est également à cette date, le 1er juillet 2020, que le prix de l’action de l’appelante a été établi aux fins de déterminer la valeur de rachat des unités d’actions, conformément à l’art. 11 du Régime, appuyant ainsi la conclusion qu’il s’agit là de la fin des cycles.

[19]    L’intimé étant toujours un participant du Régime au 1er juillet 2020 malgré la cessation de son emploi, c’est à cette date que l’ensemble de ses unités ont été acquises et que la valeur de rachat de ses unités d’actions doit être déterminée (art. 11). 

[20]    Demeure alors la question de l’application du prorata des jours travaillés selon les paragr. 9a) et 9c). Aux termes de ces dispositions, l’intimé aurait cessé d’être un employé le 6 mai 2020. Il reçoit son avis de cessation d’emploi (lettre de congédiement) à cette date qui correspond également à celle de son « dernier jour d’emploi effectif du participant » (paragr. 9c)). Avant cette date, l’intimé était en congé sans solde, mais toujours à l’emploi.

[21]    La période du 6 mai 2020 au 1er juillet 2020 est sans contredit comprise dans la période de délai de congé, de sorte que les unités d’actions de l’intimé ont été acquises au 1er juillet 2020. Appliquer le prorata prévu aux paragr. 9a) et 9c) en ne tenant compte que des jours travaillés (ce qui exclurait la période du 6 mai 2020 au 1er juillet 2020) comme le Régime le prévoit au paragr. 9c) serait ici contraire à l’art. 2092 C.c.Q., disposition d’ordre public. 

[22]    En effet, en l’espèce, le Régime doit être assimilé à un avantage pécuniaire faisant partie de la rémunération globale de l’intimé. C’est d’ailleurs ainsi que l’appelante qualifiait la participation de l’intimé au Régime dans sa lettre confirmant l’octroi d’unités d’actions en 2018, alors qu’elle indiquait qu’elle constituait une « composante de son enveloppe de rémunération ». Ajoutons que le fait qu’un participant continue d’acquérir ses unités (sous réserve de la règle du prorata) même après qu’il cesse d’être un employé (sauf lors de licenciement pour cause) accrédite également cette qualification. Celle-ci est également conforme à l’un des objectifs du Régime qui vise à procurer aux participants « un incitatif supplémentaire pour leurs efforts » pour le compte de l’appelante. Conséquemment, l’intimé est en droit d’obtenir une indemnité tenant lieu de la rémunération « qu’il aurait reçue pendant la durée du délai de congé applicable »[1]. Il faut donc écarter le paragr. 9c), qui prescrit que la période du délai de congé ne doit pas être prise en considération pour les fins du calcul du prorata du paragr. 9a), puisque contraire à l’art. 2092 C.c.Q.[2].

[23]    Dès lors, les 27 001 unités d’actions de l’intimé ont été acquises le 1er juillet 2020, à un prix admis de 4,59 $, représentant une valeur de rachat de 123 934,59 $.