Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la très récente décision du Tribunal administratif du travail Ocharova c. Hotel St-Paul de Montréal inc., une employée se fait licencier pendant la période de COVID, de concert avec beaucoup d’autres travailleurs, ce qui est normal vu la fermeture du type d’établissements qui employait ladite employée.
L’employée et l’employeur s’entendent dans la cause quant aux motifs de ralentissement économique qui ont pu mener au licenciement. Par contre, ils ne s’entendent pas sur le remède : l’employée aurait-elle dû être mutée à un autre poste? L’employeur a-t-il cette obligation?
Les parties s’entendent aussi à savoir que l’employée cumule 15 ans d’expérience, ce qui n’est pas peu de nos jours, et qui mérite un examen approfondi de la situation. La prétention de la plaignante est à l’effet de la « supplantation » : elle croit que d’autres auraient du être licenciés avant elle, et qu’elle aurait essentiellement pu hériter d’un de leurs postes. Or, si la supplantation existe principalement dans le monde de l’emploi syndiqué, elle n’existe pas, sauf preuve d’une politique ou d’un historique à cet effet, chez les non-syndiqués.
Dans le cas exceptionnel de notre cause, même pour une employée qui y était depuis 15 ans, la preuve révèle il n’y avait tout simplement plus de poste disponible et que l’employeur a agit essentiellement de bonne foi.
Voyez la théorie juridique, dans les mots du juge :
[18] Toutefois, le refus d’un employeur d’offrir un autre poste disponible à un salarié licencié peut, selon les circonstances, servir d’indice qu’il a plutôt été victime d’un congédiement déguisé. Dans l’affaire Drolet c. ABB inc.[6], la Commission des relations du travail, la CRT, le rappelle comme suit :
[45] Or, l’employeur n’a pas d’obligation, ni le salarié de droit, à l’égard d’une règle de supplantation. Ce devoir d’offrir un autre poste a été analysé lorsqu’il existe un autre poste. Lors du licenciement d’un salarié, si un tel autre poste existe et qu’il n’est pas offert au salarié licencié, on peut y voir un indice d’un subterfuge pour se départir des services d’un salarié que l’employeur désire congédier.
[46] En l’espèce, le poste de monsieur Drolet, dont les tâches sont orientées vers la recherche de fournisseurs de matières premières dans les pays émergents, est aboli. La moitié des activités de production de l’usine disparaissant, il apparaît logique, dans ce contexte, que la recherche de fournisseurs perde en pertinence. L’autre poste de chef de service, qui s’apparente à celui qu’il occupait auparavant, est occupé par un autre employé, moins ancien certes, mais en place tout de même. Rien n’exige que l’employeur congédie un employé moins ancien pour redonner un poste à monsieur Drolet.
[Nos soulignements]
[19] Plus récemment, dans l’affaire St-Jean c. Théo Gosselin Pneus / Mécanique inc.[7], le Tribunal réitère qu’un poste doit exister et être vacant pour être offert à une personne licenciée :
[83] Quant à l’obligation de l’employeur de faire des efforts avant de rompre un lien d’emploi à l’occasion d’une réorganisation administrative, celui-ci n’est pas sans limites.
[84] À ce propos, le Tribunal réitère que l’employeur n’a pas d’obligation ni le salarié de droit en matière de supplantation. Aussi, pour pouvoir offrir un autre poste, encore aurait-il fallu que la plaignante puisse démontrer qu’il en existe un à combler et qu’elle possède, à tout le moins, les qualifications requises pour réaliser les tâches afférentes à ce poste, ce qu’elle n’a pas fait.
[Nos soulignements]
[20] En somme, le refus d’offrir un autre poste à un salarié licencié peut constituer un indice démontrant que l’employeur profite du licenciement pour « se débarrasser d’un indésirable », auquel cas, selon les circonstances, il pourrait être question d’un congédiement déguisé. Toutefois, encore faut-il que cet autre poste existe et qu’il soit disponible, car rien n’exige que l’employeur congédie une personne possédant moins d’ancienneté afin de conserver un salarié visé par un licenciement.
[21] La plaignante ne remet pas en cause les difficultés économiques et la pertinence de procéder aux licenciements, incluant le sien. Elle ne conteste pas non plus les critères de sélection utilisés par l’employeur. Elle considère toutefois qu’il devait lui permettre d’occuper un autre poste compte tenu de son expérience acquise à l’hôtel, et ce, quitte à supplanter une salariée moins ancienne. En lui refusant ce droit, l’employeur démontre qu’il voulait se départir de ses services et donc, qu’elle a subi un congédiement déguisé. Pour appuyer cette prétention, elle souligne que la LNT offre une protection supplémentaire aux salariés possédant deux années de service continu.
[22] L’employeur affirme que le critère de l’ancienneté a été déterminant dans la décision de licencier la plaignante et que cela a joué en faveur de l’autre personne qui occupait ce poste. La preuve ne permet pas de conclure qu’il a agi de manière déraisonnable dans l’application de ce critère. Enfin, il soutient que la plaignante ne pouvait se prévaloir de la règle de supplantation, une telle pratique étant inexistante dans l’entreprise. L’ensemble de ses services ont été touchés par une réduction importante de personnel faisant en sorte qu’il n’avait aucun poste à offrir à la plaignante.