Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans une décision de la Cour supérieure, Maislin c. Groupe Boutin inc., deux hauts gestionnaires et dirigeants comptant notamment 33 et 22 ans d’expérience au sein de la compagnie de transport familiale poursuivent leurs nouveaux employeurs pour leur congédiement. Le jugement est touffu, mais essentiellement on comprend que les deux gestionnaires ne se sont jamais pleinement intégrés à une nouvelle compagnie, après la déroute de leur compagnie familiale, leur style de gestion étant en cause.
L’un des gestionnaires est âgé de 71 ans et l’autre de 45 ans. Ils avaient tous deux travaillé pendant trois mois seulement chez leur nouvel employeur.
Comme nous l’avions écrit dans un blogue précédent, le juge n’a pas tenu compte de l’expérience passée des gestionnaires dans le calcul de leur indemnité de départ, mais retient malgré tout qu’ils ont droit à 7 mois, incluant les montants pour l’allocation des véhicules et les dépenses incidentes.
Dans les mots du juge :
[200] À la lumière des critères énumérés à l’article 2091 C.c.Q, et développés par la jurisprudence et rappelés ci-haut, et tout en prenant en considération l’obligation des Demandeurs de mitiger leurs dommages aux termes de l’article 1479 C.c.Q.[79], le Tribunal est d’avis que les Demandeurs ont droit à une indemnité de Délai-congé équivalente à sept (7) mois de salaire, plus un montant de 1 600 $ par mois à titre d’allocation pour véhicule automobile prévue aux Contrats d’emploi (1 400 $) et pour dépenses incidentes (fixées par le Tribunal à 200 $).
[201] Ainsi, vu que chacun des Demandeurs avaient un salaire de 100 000 $ par année chez Groupe Boutin, cette indemnité de sept (7) mois équivaut donc à 58 333 $ chacun, plus 11 200 $ chacun à titre d’allocation pour véhicule automobile et dépenses incidentes, soit un total de 69 533 $ pour chacun des Demandeurs.
[202] Il va de soi qu’il devra être déduit de ce montant total l’indemnité de deux (2) semaines que les Demandeurs ont déjà reçue de Groupe Boutin.
[203] Pour parvenir à ce montant, le Tribunal a pris en considération les circonstances ayant mené à l’embauche des Demandeurs et l’appréciation de leurs services auprès des Défenderesses incluant, entre autres, ce qui suit :
- l’embauche des Demandeurs s’est faite dans le cadre de la vente/liquidation des actifs de Maisliner, alors insolvable;
- les Défenderesses étaient conscientes de cette situation et des risques y reliés;
- une «vérification diligente» rigoureuse de la part des Défenderesses leur aurait permis d’en apprendre plus sur la qualité des relations ayant pu exister entre M. Jonathan et certains des employés de Maisliner, y inclus quant à l’impact du licenciement de M. Konovalenko, le responsable de la gestion des Petites divisions chez Maisliner;
- la courte période d’emploi des Demandeurs auprès des Défenderesses, soit 3 mois (27 janvier au 24 avril 2017);
- l’appréciation de la prestation du travail fourni par chacun des Demandeurs chez les Défenderesses et discutée précédemment;
- le projet des Petites divisions était un projet de M. Jonathan, son cheval de bataille, pour lequel il avait insisté afin que les Défenderesses s’y investissent, mais il a fait défaut, dès le début de son emploi chez Groupe Boutin, d’être proactif afin de faire en sorte que ce projet démarre bien et rapidement, d’être à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’un entrepreneur/associé;
- M. Jonathan devait alors, plus que jamais, démontrer son grand intérêt dans ce projet, non seulement par des paroles, mais surtout par des gestes concrets et, vu l’urgence de la situation, hâter le pas afin d’obtenir le soutien continu des Défenderesses;
- M. Alan a nui à ses démarches de développement de la clientèle chez Frontenac en y incorporant la perception des comptes à recevoir de Maisliner aux fins de réduire sa responsabilité envers BMO à titre de caution; il s’agissait d’une situation conflictuelle, nullement à l’avantage de son employeur, et M. Alan aurait dû rectifier le tir sans qu’il soit nécessaire qu’on le lui dise;
- l’âge des Demandeurs au moment de leur congédiement, soit 71 ans pour M. Alan et 45 ans pour M. Jonathan;
- le salaire annuel de 100 000 $ de chacun des Demandeurs, plus une allocation pour véhicule automobile de 1 400 $ par mois, et le remboursement de certaines dépenses incidentes;
- les recherches d’un nouvel emploi par les Demandeurs, certainement plus ardues et difficiles étant donné la débâcle financière de Maisliner et sa faillite le 23 mai 2017, quoique sans que les Défenderesses n’aient à en subir les conséquences.
[204] Aussi, étant donné que le Contrat d’emploi des Demandeurs était avec le Groupe Boutin[80], mais que le travail convenu était au bénéfice de l’exploitation de l’entreprise de Frontenac, les Défenderesses seront condamnées solidairement à payer à chacun des Demandeurs l’indemnité de Délai-congé et l’indemnité d’allocation pour véhicule automobile et dépenses incidentes octroyées par le Tribunal.
[205] Cette solidarité a été demandée expressément par les Demandeurs, et les Défenderesses ne s’y sont pas opposées.
5.2.3 Conclusion
[206] Les Demandeurs ont donc chacun droit à une indemnité de Délai-congé de 58 333 $, plus une indemnité d’allocation pour véhicule automobile et dépenses incidentes de 11 200 $, soit un montant total de 69 533 $ pour chacun d’eux.