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Fin d’emploi – le critère du « cadre supérieur » et ses recours

5 septembre 2023

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans une cause du Tribunal administratif du travail, Zankri c. Gilles Maynard inc., un employeur voit un de ses employés comme le futur propriétaire de l’entreprise – celui-ci est d’accord, et les deux collaborent bien jusqu’à ce que leur relation se détériore quant à certaines valeurs comptables de l’entreprise, ce qui mènera au « congédiement » de l’employé.

L’un des recours que les employés peuvent exercer généralement est dit contre le « congédiement sans cause juste et suffisante », de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, et qui peut mener à la réintégration de l’employé, ce qui peut faire peur aux employeurs.

Cela dit, ce recours n’est pas ouvert aux « cadres supérieurs », et rend donc leur réintégration impossible. On comprendra rapidement l’importance pour l’employé de ne pas se faire qualifier de la sorte.

Les critères généralement retenus par la jurisprudence sont (1) la position hiérarchique de l’employé, (2) la gestion du personnel, (3) les relations avec le propriétaire, (4) les conditions de travail du salarié, (5) la participation de l’employé à la gestion de l’entreprise et (6) le pouvoir décisionnel.

Dans la décision d’aujourd’hui, nous nous concentrons principalement sur l’étude du passage ci contre, qui explique de quelle façon le 5e critère décrit ci-haut est important dans la détermination de la qualification de cadre supérieur. Au final, la plainte sera rejetée parce que l’employé est désigné comme « cadre supérieur ».

Voyez plutôt :

 

 

 

[37]      Monsieur Maynard témoigne candidement maîtriser les aspects techniques de la bijouterie, mais ne pas être un astucieux administrateur. L’entreprise a du succès en raison de la qualité de ses services et non parce que son président prend des décisions d’affaires déterminantes. De plus, étant en fin de carrière, celui-ci a tendance à s’en remettre à son successeur désigné pour ce qui concerne les choix qui auront un impact à long terme sur la société.

[38]      Ainsi, jusqu’à sa fin d’emploi, monsieur Zankri a les coudées franches pour influer sur les décisions stratégiques, notamment :

  •       Il procède au remplacement de la firme de comptables externes retenue par l’entreprise depuis de nombreuses années par un cabinet qui a autrefois été son employeur. Monsieur Maynard témoigne qu’il n’a pas été impliqué avant que le changement soit effectué. Monsieur Zankri témoigne plutôt qu’il n’a fait qu’une suggestion, parce que monsieur Maynard lui avait mentionné une certaine insatisfaction quant aux services rendus par l’ancien comptable. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que monsieur Zankri a eu un rôle clé dans cette décision importante.
  •       Il est au minimum partie prenante avec monsieur Maynard dans la décision d’impliquer l’entreprise dans l’importation de bijoux de moins haute gamme que celle qui a fait sa réputation. Par exemple, il est la personne qui pilote le projet d’acquisition de la société Les Distributions Mical ltée (projet qui avortera).
  •       Il induit la société à participer à des congrès internationaux, ce qui s’inscrit dans la stratégie d’achat de bijoux de moins haute gamme. Il est d’ailleurs déterminant qu’une relation d’affaires de l’entreprise témoigne avoir demandé à monsieur Maynard ce que monsieur Zankri allait acheter alors que ce dernier participait à une foire commerciale en Italie. Il a été étonné d’apprendre que monsieur Maynard ne semblait pas le savoir.
  •       Il développe, à son initiative, des stratégies et des outils de mise en marché nouveaux dont un site Internet, un nouveau catalogue et une présence sur les réseaux sociaux afin de viser une clientèle plus jeune.
  •       Il a un rôle majeur dans des décisions d’achats importants pour l’entreprise, tels un nouveau système comptable, un système téléphonique permettant l’enregistrement des conversations, la modernisation du système de surveillance vidéo des locaux et un studio de photographie portable.

[39]      Devant le Tribunal, monsieur Zankri minimise l’impact qu’il a eu sur l’entreprise. Il témoigne qu’il n’a fait que des suggestions à monsieur Maynard. Pourtant, dans le cadre d’un recours civil qu’il a introduit en février 2020 devant la Cour supérieure contre l’entreprise, il dépeint son rôle très différemment :

[…] il a par ses actions redressé la situation financière de l’entreprise, réalisé des profits, créé un surplus budgétaire, négocié auprès d’institutions bancaires, créé un site web, un nouveau catalogue, effectué plus de 700 photographies de produits d’inventaire, utilisé les réseaux sociaux pour promouvoir les produits, développé les affaires, négocié, augmenté de façon significative la clientèle, géré les activités quotidiennes, présenté la [société] dans toutes les institutions bancaires et/ou gouvernementales, assisté aux congrès annuels de Gemme, au Congrès annuel des acheteurs du Canada, présenté la [société] dans les Congrès internationaux à New York, en Italie et en Turquie et négocié des contrats d’achat des produits, […]

 

[…]

 

Le demandeur portait tous les chapeaux et exerçait plusieurs fonctions au sein de

l’entreprise, le tout tel qu’il sera amplement démontré lors de l’audition au mérite;

[40]      Ce double langage affecte significativement sa crédibilité devant le Tribunal. Il diminue la force probante de son témoignage lorsqu’il affirme n’être qu’un exécutant. Le Tribunal estime qu’il est plus probable qu’il a voulu activement insuffler sa vision à l’entreprise dont il voulait se porter acquéreur.

[41]      Le Tribunal souligne que le projet d’acquisition n’était pas qu’un vague souhait. En effet, dès 2015, il verse à l’entreprise un montant de 125 000 $. Dans le cadre du recours qu’il a intenté contre la société devant la Cour supérieure, monsieur Zankri qualifie lui‑même cette somme d’une « avance sur achat de l’entreprise ».

[42]      Dans le même ordre d’idée, lorsque la société décide d’accorder un prêt à une de ses bonnes relations d’affaires, monsieur Zankri accorde personnellement au même moment un prêt de 10 000 $ à cette relation.

[43]      Le Tribunal considère que ces versements rendent invraisemblables que monsieur Zankri se soit contenté de 2015 à 2020 d’un simple rôle d’exécutant.

[44]      Le Tribunal conclut que monsieur Zankri exerçait un pouvoir d’influence important sur les destinées de l’entreprise ainsi que sur la détermination des moyens pour assurer sa rentabilité et sa croissance. Il s’agit d’un critère qui milite fortement pour lui reconnaître un statut de cadre supérieur.