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Force majeure et motifs économiques : l’inondation d’un commerce ne peut pas empêcher des employés d’obtenir leur indemnité de départ

24 octobre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

 

Dans une décision récente de la Cour d’appel, 3183441 Canada inc. c. CNESST, on confirme une décision de la Cour supérieure selon laquelle les avis et les indemnités de départ prévues à la Loi sur les normes du travail doivent être versées lorsqu’une entreprise se voit obligée de fermer ses portes par force majeure… qui mène à des décisions économiques.

L’inondation d’un commerce et sa fermeture temporaire pourrait être considérée comme un cas de force majeure. Or, si on ne le rouvre pas après plusieurs mois, qu’on constate un différend entre locateur et locataire, et qu’on prend une décision basée sur des motifs économiques pour fermer le commerce pour de bon, on doit envoyer les avis minimaux et payer les indemnités de départ aux employés qui perdent ainsi leurs emplois.

La Cour d’appel s’exprime ainsi :

 

[6]         La juge signale également que le différend entre le propriétaire et l’appelante concernant l’étendue des travaux nécessaires et la détermination de la partie responsable de les exécuter s’est poursuivi au-delà de la résiliation du bail et qu’il a donné lieu à une transaction et quittance le 9 novembre 2018.

[7]         Elle distingue ensuite la jurisprudence invoquée par l’appelante qui l’invitait à conclure que l’inondation est la seule cause du licenciement collectif en signalant que les causes citées s’articulent toutes autour de l’avis individuel au salarié de l’article 82 LNT (lequel incidemment ne s’applique pas lorsque la mise à pied résulte d’un cas de force majeure, suivant l’article 82.1 (4°) LNT).

[8]         La juge rappelle par ailleurs les propos de la Cour dans Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail c. Immeubles des Moulins inc.[4] voulant que les dispositions de la LNT doivent recevoir une interprétation large et libérale en raison de l’objectif de la loi qui vise à rééquilibrer les forces entre employeurs et employés. Elle conclut ensuite que le licenciement collectif ne peut simplement être attribué à l’inondation et qu’il découle de motifs économiques qui l’obligeaient à donner l’avis au Ministre en vertu de l’article 84.0.4 LNT, en précisant à cet égard :

[65]      De nombreux évènements se produisent donc entre la mise à pied initiale due à l’inondation et le licenciement collectif qui survient six mois plus tard. Ceux‑ci entrent en considération lorsqu’il s’agit pour Mourelatos d’évaluer la faisabilité d’une reprise des opérations. La décision de ne pas rouvrir est, de l’avis du Tribunal, une décision d’affaires, basée sur des motifs économiques. Lorsque Mourelatos met fin au bail, c’est que, selon lui, les conditions qui lui permettent d’exploiter son entreprise ne sont plus présentes. Or, cette décision, qui lui appartient, a pour conséquence le licenciement simultané de plus de quarante employés.

 

(…)

 

[12]      En appel, l’appelante soutient que la juge de première instance aurait erré en concluant que le licenciement collectif découlait d’un motif d’ordre économique au sens de l’article 84.0.4 LNT plutôt que d’un cas de force majeure, de même qu’en concluant que l’absence d’avis de licenciement collectif ne résultait pas d’un évènement imprévu lui permettant d’éviter de verser les indemnités réclamées au nom des salariés licenciés en vertu de l’article 84.0.13 LNT.

[13]      En s’appuyant sur une jurisprudence qui ne lui est d’aucun secours en l’espèce[6], l’appelante invite en fait la Cour à retenir que le prolongement de la mise à pied au‑delà de la période de six mois est une conséquence directe de l’inondation, ce qui l’exonère entièrement de l’obligation de donner le préavis aux salariés.

[14]      Or, l’appelante ne fait pas la démonstration de quelque erreur manifeste et déterminante de la juge de première instance dans les conclusions mixtes de fait et de droit que tire cette dernière à partir des faits mis en preuve.