Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la décision rendue ex parte de la Cour du Québec dans le dossier Parent c. Lexis-Nexis, le juge accorde une indemnité de départ de près de 40 000$ à une éditrice, ainsi qu’une petite partie en dommages pour la façon dont on a mis fin à son emploi. Nous étudions ici la première facette de ce jugement.
Dans le contrat de travail à durée déterminée de l’employée, il y était « convenu » que l’employeur pouvait mettre fin au contrat moyennant un préavis d’un mois. Or, il est acquis que l’indemnité de départ dans le cas d’un contrat à durée déterminée représente essentiellement ce qu’il restait au terme du contrat lors de la date de fin d’emploi, par le truchement des articles 2092 et 2094 (voir plus bas) du Code civil du Québec. Ainsi, un employé ne peut renoncer à l’avance à un préavis raisonnable.
Puisqu’on n’a pas eu le bénéfice d’entendre la partie défenderesse, l’employeur, il importe de savoir que les questions nécessaires sur la mitigation des dommages n’ont probablement pas été posées, ce qui aurait pu affecter le verdict final.
Voici le raisonnement du juge sur l’indemnité de départ, qui revient sur la décision Asphalte Desjardins, entre autres :
[17] Dans l’arrêt Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc.[3], la Cour suprême du Canada décrit comme suit la portée de cette disposition :
[52] L’article 2092 C.c.Q. rend impossible pour le salarié de renoncer à la réparation du préjudice qui découlerait, notamment, d’un délai de congé insuffisant. Autrement dit, l’art. 2092 C.c.Q. empêche l’employeur de limiter sa responsabilité. Cette disposition frappe de nullité toute clause du contrat de travail par laquelle le salarié renoncerait à l’indemnité à laquelle il aurait droit si l’employeur mettait fin au contrat de façon unilatérale sans délai de congé suffisant.
[53] Il s’agit d’une disposition de protection d’ordre public et le salarié — la partie en faveur de laquelle la disposition a été édictée — ne peut renoncer au droit en cause qu’une fois qu’il est acquis (Isidore Garon ltée c. Tremblay, 2006 CSC 2, [2006] 1 R.C.S. 27, par. 60; Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, 1992 CanLII 70 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 499, p. 530-531).
[18] Dans un contrat de travail à durée déterminée, l’employeur est tenu par l’article 2094 du Code civil du Québec de justifier par un motif sérieux la résiliation unilatérale du contrat. Il ne peut se soustraire à cette obligation au moyen d’une clause lui permettant de mettre fin au contrat à sa discrétion en transmettant un préavis dont le contrat fixe la durée. Une telle clause ne peut avoir pour effet de lui procurer une faculté semblable à celle que prévoit l’article 2091 du Code civil du Québec relativement aux contrats de travail à durée indéterminée :
- Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
[19] La résiliation d’un contrat de travail à durée déterminée est faite de manière abusive, au sens de l’article 2092 du Code civil du Québec, lorsqu’elle ne repose pas sur un motif sérieux. La jurisprudence établit que cette disposition permet d’écarter l’application de clauses qui, dans un contrat de travail à durée déterminée, autorisent l’employeur à résilier le contrat sans motif et fixent le montant de l’indemnisation payable à l’employé[4].
[20] La conjugaison des articles 2092 et 2094 du Code civil du Québec produit donc la conséquence suivante dans le présent dossier : en l’absence d’un motif sérieux justifiant la résiliation du contrat de Mme Parent, le droit accordé à LexisNexis par la clause mentionnée ci-dessus ne prive pas Mme Parent de la possibilité de réclamer la pleine indemnisation du dommage qu’elle subit. Le contrat de travail ne peut limiter ces dommages à l’équivalent d’un mois de salaire.
[21] L’employé dont le contrat de travail à durée déterminée a été injustement et prématurément résilié par l’employeur a droit en principe à une indemnité calculée sur la base de la rémunération qu’il aurait gagnée jusqu’à l’échéance normale du terme[5]. Mme Parent a donc droit à la totalité de sa rémunération pour la période allant du 3 mars 2017, date de la fin de son emploi auprès de LexisNexis, jusqu’au 18 décembre 2017, date de l’expiration du terme fixé dans la lettre du 7 décembre 2016.
[22] Le relevé d’emploi produit par Mme Parent montre qu’à compter du 19 décembre 2016, elle a reçu une rémunération totale de 10 802,84 $ :
Pour la période d’une semaine se terminant le
24 décembre 2016 : |
815,31 $ |
Pour la période de deux semaines se terminant le
7 janvier 2017 : |
1 222,96 $ |
Pour la période de deux semaines se terminant le
21 janvier 2017 : |
1 630,62 $ |
Pour la période de deux semaines se terminant le
4 février 2017 : |
2 038,27 $ |
Pour la période de deux semaines se terminant le
18 février 2017 : |
2 038,27 $ |
Pour la période de deux semaines se terminant le
3 mars 2017 : |
3 057,41 $ |
[23] Étant donné que son salaire annuel était fixé au montant de 50 000 $, la réclamation de Mme Parent est donc bien fondée pour un montant de 39 197,16 $ (soit 50 000 $ moins 10 802,84 $). La preuve ne permet pas de savoir si, pendant la période allant du 3 mars au 18 décembre 2017, Mme Parent aurait gagné une rémunération auprès d’un autre employeur. La preuve ne permet pas non plus de déterminer si Mme Parent a pris des mesures de mitigation de ses dommages.