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La Cour d’appel confirme une indemnité d’un an pour 7 ans d’emploi pour un ingénieur-chimiste

2 septembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans Fractal Systems c. Dehkissia, une décision récente de la Cour d’appel, on confirme une indemnité de départ de 12 mois donnée à un ingénieur-chimiste de 50 ans qui était à l’emploi de la compagnie depuis environ sept ans.

Il est toujours intéressant de trouver des décisions de la sorte, puisqu’il est rarement question en appel du quantum de l’indemnité, vu la déférence accordée au juge de première instance en la matière.

Les enseignements de la Cour d’appel sont ici particulièrement éloquents à plusieurs égards. Si on veut faire la preuve de la difficulté à se trouver un nouvel emploi – qui est un critère important quant à la durée de l’indemnité de départ – elle doit être étoffée et ne devrait pas se résumer à un témoignage laconique. Ici, au final, la Cour d’appel n’infirme pas la décision du juge de première instance, mais il n’est pas inutile de mentionner qu’elle aurait certainement accordé une indemnité plus généreuse (qualifiant la décision du juge de première instance de « peu généreuse »), n’eût été des standards juridiques nécessaires à l’infirmation :

 

 

[24]      S’agissant maintenant de l’appel incident, la principale question en litige est de savoir si le juge de première instance a commis une erreur révisable en fixant à 12 mois la durée du préavis en fonction duquel le montant de l’indemnité due à M. Dehkissia devait être calculé. Ce dernier, qui soutient que le délai aurait dû être fixé à 18 mois, met surtout l’accent sur « l’immense difficulté » qu’il a rencontrée en tentant « de trouver un travail similaire correspondant à ses qualifications et la difficulté de restructurer sa carrière à son âge »[12]. Il reconnaît que le juge a tenu compte de ce facteur, mais il lui reproche de ne pas y avoir accordé suffisamment d’importance, notamment eu égard au fait qu’il n’avait toujours pas réussi à trouver un travail similaire au moment où l’instruction au fond a eu lieu. Il estime au surplus que l’erreur du juge saute aux yeux lorsque l’on compare les circonstances de la présente affaire à celles de l’affaire Aksich c. Canadian Pacific Railway[13]. M. Dehkissia reproche également au juge de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance au rôle clé qu’il a joué chez Fractal ni à l’importante contribution qu’il dit avoir eue dans le développement des technologies de l’entreprise.

[25]      En cette matière, la déférence est de mise[14] et la Cour n’interviendra que si l’indemnité fixée en première instance est déraisonnable, ce qui sera le cas si elle s’avère nettement insuffisante ou, au contraire, nettement exagérée[15].

[26]      M. Dehkissia réussit-il à démontrer le caractère déraisonnable de la conclusion à laquelle le juge est arrivé?

[27]      Soulignons d’abord qu’il a raison d’affirmer que la difficulté à trouver un emploi équivalent doit être prise en considération en fixant l’indemnité tenant lieu de délai de congé[16]. Toutefois — et comme le mentionnait la juge en chef, alors à la Cour supérieure —, ce facteur « doit être pondéré en fonction des autres facteurs pertinents, dont l’âge de l’employé, la nature de son poste et ses qualifications lui permettant de se relocaliser, afin de déterminer le délai de congé raisonnable, tant pour l’employeur que pour l’employé »[17]. La juge en chef soulignait aussi, à la même époque, que l’indemnité ne saurait être fixée uniquement en fonction du temps qui s’est écoulé entre le congédiement et le moment où l’employé s’est trouvé un nouvel emploi[18].

[28]      Par ailleurs, bien que le juge ait constaté qu’« il y a[vait] peu de chances qu’un super spécialiste du transport des huiles lourdes trouve un emploi à Sherbrooke ou même au Québec » et qu’il était « peu probable que M. Dehkissia puisse débuter une carrière universitaire »[19], la preuve reproduite au dossier d’appel concernant les  difficultés que ce dernier a rencontrées en tentant de se trouver un nouvel emploi n’est pas particulièrement étoffée. Elle ne tient qu’à des explications relativement générales et laconiques fournies par M. Dehkissia lors de son témoignage. Il s’ensuit qu’il est difficile de mesurer l’ampleur de difficultés auxquelles il était confronté en tentant de trouver un emploi qui, sans être identique à celui qu’il occupait chez Fractal, y serait suffisamment comparable. Ce facteur pouvait inciter le juge à la modération dans la fixation de l’indemnité tenant lieu de délai de congé.

[29]      Quant à l’affaire Aksich, il est vrai que la Cour est intervenue afin de revoir à la hausse le délai de congé en fonction duquel l’indemnité avait été fixée afin de le rehausser de 15 à 24 mois. Toutefois, le contexte était à la fois particulier — notre collègue la juge Bich y voyant un dossier « sort[ant] de l’ordinaire »[20] — et à plusieurs égards différent de celui de la présente affaire. Ainsi, M. Aksich, un employé clé ayant fait une contribution significative dans l’entreprise exploitée par l’intimée, comptait 27 années d’ancienneté, dont 20 consécutives, ce qui est beaucoup plus que les six années et demie durant lesquelles M. Dehkissia a été à l’emploi de Fractal. Son dossier professionnel était « plus qu’exemplaire »[21], ce qui n’est pas le cas de M. Dehkissia, dont le comportement durant les derniers mois de son emploi n’a pas été sans faille. Un autre élément distinctif est le fait que l’employeur avait laissé entendre à M. Aksich que son avenir au sein de l’entreprise était assuré. Enfin, bien que tous s’entendent sur le fait que M. Dehkissia a réellement contribué au progrès de Fractal, le juge a tout de même retenu qu’il lui arrivait de surestimer l’importance de son rôle au sein de l’entreprise.

[30]      Bref, si l’indemnité accordée par le juge de première instance paraît peu généreuse, elle n’est pas nettement insuffisante ou déraisonnable. Le premier moyen d’appel de M. Dehkissia doit donc être rejeté.