Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une décision rendue il y a quelques semaines, Zeng c. Groupe Mito inc., un employé plaide qu’en modifiant la durée de son horaire hebdomadaire sans son consentement, son employeur l’a contraint à démissionner. C’est dans ce contexte qu’il dépose un recours fondé sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT) soutenant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé. L’employeur nie avoir forcé le plaignant à démissionner et ajoute que les modifications apportées au contrat de travail de celui-ci relèvent de son droit de direction.
Au moment de la cessation de son emploi, l’employé travaillait comme préparateur de sushis depuis plus de trois ans chez Groupe Mito inc. Le 6 juin 2021, le contrat de l’employé est modifié en raison d’une douleur au pied. Son temps de travail est alors limité à 30 heures par semaine (à moins qu’il ne souhaite en faire davantage), il doit travailler en équipe de deux et ne peut être assigné qu’à un maximum de trois clients. Cependant, à son retour de vacances, l’employé découvre qu’il doit désormais travailler seul.
En mai 2022, des tâches supplémentaires lui sont imposées, ce qui lui cause du stress et l’oblige à s’absenter pour maladie. À son retour, une autre tâche lui est ajoutée. Le 25 mai 2022, après avoir signalé une situation de harcèlement à son superviseur, celui-ci lui répond qu’il n’a qu’à démissionner. Quelques semaines plus tard, un autre client lui est attribué, en contravention avec l’un des termes de son contrat. Le 30 mai, sa demande de travailler un jour sur deux est refusée, et sa semaine de travail passe de 30 à 40 heures, avec à nouveau l’incitation à démissionner s’il n’est pas satisfait.
Le 12 juin, l’employé informe son superviseur de sa démission effective le 26 juin 2022.
Le Tribunal rappelle que lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue un congédiement déguisé et non une démission.
En l’espèce, une personne raisonnable considérerait qu’une augmentation de dix heures de travail hebdomadaires représente une modification substantielle à une condition essentielle de travail. De plus, cette modification était contraire au contrat de travail amendé de l’employé et a été effectuée sans son consentement. Au vu de la preuve présentée, le Tribunal est d’ailleurs convaincu que l’employeur avait clairement l’intention de rompre le lien d’emploi avec le plaignant et de l’inciter à démissionner.
Par conséquent, le Tribunal conclut que la modification de l’horaire de travail imposée à l’employé constitue un congédiement déguisé sans cause juste et suffisante.
La plainte de l’employée est donc accueillie, l’employeur ne démontrant aucune autre cause. En effet, conformément à l’article 124 de la LNT, dès que le plaignant satisfait aux conditions d’ouverture du recours, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il y a absence de congédiement ou que s’agissant d’un congédiement, il disposait d’une cause juste et suffisante.
Voyez comment le Tribunal motive sa décision :
L’argument de la démission
[…]
[36] Les tribunaux[8] et la doctrine[9] ont établi un cadre d’analyse pour déterminer si une fin d’emploi résulte d’une démission ou d’un congédiement :
- Toute démission comporte à la fois un élément objectif et subjectif.
- La démission est un droit qui appartient à l’employé et non à l’employeur. Elle doit donc être volontaire.
- La démission s’apprécie différemment selon que l’intention de démissionner est ou non exprimée.
- L’intention de démissionner ne se présume que si la conduite de l’employé est incompatible avec une autre interprétation.
- L’expression de son intention de démissionner n’est pas nécessairement concluante quant à la véritable intention de l’employé.
- En cas d’ambiguïté, la jurisprudence refuse généralement de conclure à une démission.
- La conduite antérieure et ultérieure des parties constitue un élément pertinent dans l’appréciation de l’existence d’une démission.
[37] De plus, lorsque la démission est l’aboutissement d’un constat d’impuissance du salarié face à l’attitude ou aux agissements de son employeur, elle peut révéler un congédiement déguisé[10].
[38] C’est à la lumière de ces principes que le Tribunal doit analyser la preuve.
[39] La preuve révèle que le 12 juin 2022, le plaignant écrit un message texte à son superviseur lui annonçant « Je quitte mito dans 2 semaines. Alors le dimanche, 26 juin 2022 sera ma dernière journée de travail à Mito ».
[40] L’employeur soutient que le plaignant s’est comporté par la suite comme quelqu’un qui a l’intention de démissionner. D’ailleurs le 26 juin 2022, il informe son superviseur qu’il ne pourra pas entrer au travail, mais qu’il viendra remettre sa clé la semaine suivante. De plus, le message texte n’indique pas de raison ou motif et ne mentionne aucunement qu’il se sent obligé de démissionner.
[41] Selon l’employeur le plaignant était insatisfait de son travail, de ses conditions de travail et de sa charge de travail. Cette insatisfaction se serait accentuée à la suite du départ de la directrice de production. Il aurait souhaité diminuer ses heures de travail, mais il était incapable de justifier sa demande sur le point de vue médical. C’est ce qui l’a amené à démissionner. D’ailleurs, après sa rencontre avec le DRH qui n’accède pas à sa demande de travailler un jour sur deux, il envoie des boîtes de sushi vides à des clients pour démontrer son insatisfaction. Ce geste mènera à un processus disciplinaire et c’est un peu plus d’une semaine après la rencontre disciplinaire du 2 juin que le plaignant remet sa démission.
[42] Le Tribunal ne retient pas cette théorie de l’employeur. Le comportement du plaignant avant et après l’annonce de la démission le 12 juin démontre qu’il n’avait pas l’intention de rompre définitivement les liens avec son employeur.
[43] En effet, le 25 mai, environ deux semaines avant l’annonce de sa démission, le plaignant discute avec son superviseur et lui dit qu’il n’a pas l’intention de démissionner. De plus, l’employeur lui remet une mesure disciplinaire le 16 juin 2022 et le plaignant y répond par l’envoi d’une mise en demeure le 19 juin 2022 contestant ladite mesure et le sommant de l’effacer de son dossier. En outre, le 20 juin 2022, le superviseur demande au plaignant de remettre une preuve de sa démission effective ou de remplir le document de fin d’emploi. Ce que le plaignant refuse de faire.
[44] Le Tribunal retient que la démission du plaignant du 12 juin 2022 n’est pas libre et volontaire puisqu’elle intervient dans un contexte de modifications illégales de conditions essentielles de son contrat de travail et après qu’il a tenté à quelques reprises de faire respecter celui-ci par l’employeur. Elle représente l’aboutissement d’un constat d’impuissance du salarié face au comportement de l’employeur.