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Le contrôle des dépenses d’un projet et le congédiement sans cause juste et suffisante

11 juin 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collabration d’Emma Therrien

 

 

Dans une décision récente de la Cour supérieure, Mahi c. St-Georges Structures et Civil inc., un employé âgé de 66 ans allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante, tandis que l’employeur prétend tenir un motif sérieux.

En 2017, le défendeur offre à l’employé le poste de “Vice-président alliance stratégique nationale et internationale”. Les actionnaires de cette entreprise étaient particulièrement intéressés à étendre leur réseau de contacts et l’employé, en raison de ses origines et de son vaste réseau à l’étranger, était considéré comme le candidat idéal pour établir rapidement des relations d’affaires au Maroc.

Pendant ses années de service au sein de l’entreprise, l’employé était reconnu comme un travailleur dévoué qui se dédiait avec ardeur à ses tâches. Il effectuait de nombreux aller-retour entre le Québec et le Maroc pour promouvoir les intérêts de l’entreprise à l’étranger et élargir leur réseau commercial. L’employeur considère même qu’il traitait l’employé comme un co-actionnaire.

Toutefois, dès l’été 2018, l’employeur commence à s’inquiéter des finances de sa succursale au Maroc, car aucun contrat n’a encore été signé.  Le 3 août 2018, il ouvre une marge de crédit de 200 000$ dans une banque marocaine pour financer ce projet d’envergure.

Bien que le premier contrat soit signé en octobre, la marge de crédit continue de croître, atteignant 300 000$ en novembre 2018. C’est à ce moment-là que les co-actionnaires avisent l’employé, pour la première fois, de diminuer les dépenses. En décembre, un employé de l’entreprise ordonne à l’employé de se concentrer exclusivement sur les soumissions privées, ce qu’il fait, bien que surpris que cette instruction ne vienne pas directement de son patron.

Au retour du congé des fêtes, l’employé est convoqué par l’employeur. Arrivé à la rencontre, il se retrouve face à tous les co-actionnaires et un avocat. Ceux-ci lui remettent une lettre de congédiement.

Comme les lecteurs de ce blogue le savent déjà, dans le cas d’un contrat de travail à durée indéterminée, l’employeur peut mettre fin au contrat à tout moment moyennant un préavis, à moins que le congédiement soit justifié par un motif sérieux.

Ainsi, dans cette situation, il est crucial de déterminer si les actions de l’employé constituent un motif sérieux pour décider si l’employeur pouvait effectuer un tel congédiement.

Voyez comment la juge motive sa décision :

 

[54]        Les corrections apportées le jour même de la remise de la lettre dite de congédiement démontrent que les défendeurs n’avaient pas de réels motifs de congédiement contre Mahi. D’ailleurs, durant toute la période d’emploi, aucun reproche ne lui a été fait à l’égard de son ardeur au travail, ce dernier travaillant beaucoup plus que les 40 heures par semaine prévues à son contrat d’emploi.

[55]        Pour donner à la terminaison d’emploi de Mahi une allure de congédiement, les défendeurs voudraient que la question de la gestion économique concernant les dépenses soit liée à l’incompétence de Mahi. À cet égard, la preuve est plus que faible. Il s’agit plutôt d’une tentative de redéfinir l’histoire…

[56]        Lorsque Mahi quitte le Maroc le 22 décembre 2018 pour les vacances des Fêtes, il sait depuis peu qu’il doit faire un contrôle plus serré des coûts, diminuer les dépenses, arrêter les soumissions publiques et continuer les soumissions privées qui n’engagent aucune caution et que « Ce domaine semble mieux fonctionner pour l’instant » écrivait Leblanc.

[57]        Mahi n’a jamais été informé que STGI était appelée à connaître une réorganisation complète de ses opérations, voire une fermeture imminente et définitive. Il était tenu à l’écart du stress financier que vivaient les trois actionnaires de STG en rapport avec l’implantation de la nouvelle société au Maroc : STGI jouait dans la cour des grands ce qui commandait l’injection de fonds importants et les actionnaires, à l’évidence, avaient sous-estimé l’impact d’une culture d’affaires différente. D’ailleurs, dans le courriel du 20 novembre 2018, St-Georges le reconnaît lorsqu’il écrit « Nous sommes une petite entreprise et le défi comme tel de s’implanter au Maroc était audacieux et limite à nos moyens ».

[…]

[60]        La preuve prépondérante est à l’effet que le comportement de Mahi n’est pas la cause de la précarité financière de STGI. La mauvaise situation financière de STGI ne peut être retenue comme une cause valable de congédiement[35]. Rappelons que le contrat de travail est entre Mahi et STG.

[61]        Au surplus, dans le contexte d’un congédiement qui met en cause la compétence d’un employé, l’employeur doit satisfaire aux cinq exigences de l’arrêt Costco, soit[36] :

1-   Le salarié connaît les politiques de l’entreprise et les attentes de l’employeur à son endroit;

2-   Le salarié connaît ses lacunes puisqu’elles lui ont été signalées par l’employeur;

3-   L’employeur a donné au salarié le support nécessaire pour se corriger et atteindre les objectifs clairs fixés par l’employeur;

4-   Le salarié bénéficie d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

5-   Le salarié est prévenu du risque de congédiement s’il ne s’améliore pas malgré le support de l’employeur.

[62]        En l’espèce, l’employeur ne satisfait pas à ces exigences puisque Mahi:

–     n’était pas au courant des attentes par rapport aux dépenses;

–     ne connaissait pas les lacunes qui lui étaient reprochées mis à part le courriel du 20 novembre 2018[37];

–     n’a pas obtenu le support nécessaire;

–     n’a pas bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster, et

–     n’a pas été prévenu du risque de congédiement.

[63]        Le tribunal conclut que Mahi a été congédié sans motif juste et suffisant.