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Les contradictions dans les motifs consignés dans une lettre de congédiement

29 octobre 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

 

 

Dans une décision récente du Tribunal administratif du travail, El Tawil c. LP Tech inc., un employé a été congédié sans cause juste et suffisante pour avoir exercé son droit au congé parental.

Le 16 juillet 2018, M. El Tawil, opérateur de plaquage chez LP Tech inc. depuis 2013, a informé la directrice de la production et des ressources humaines, Mme Dahnoun, de son congé parental prévu du 6 août 2018 au 22 avril 2019. Le lendemain, soit le 17 juillet, son supérieur lui a demandé de nettoyer la presse, une tâche qui ne relevait pas de ses responsabilités habituelles. Avant même qu’il ne reprenne son poste, on lui a également demandé de nettoyer le plancher. Face à cette seconde requête, M. El Tawil a refusé, invoquant qu’il avait du travail à son poste et s’étonnant que la tâche ne soit pas confiée à l’employé d’entretien présent.

Il s’est ensuite rendu au bureau de Mme Dahnoun pour demander des explications au sujet de ces tâches inhabituelles. Ayant entendu le plaignant depuis le couloir, le président, M. Dahnoun, est sorti de son bureau en lui criant qu’il devait obéir, affirmant être « la loi ». Lorsque M. El Tawil a protesté, M. Dahnoun l’a poussé par les épaules, insistant pour qu’il quitte les lieux. M. El Tawil a alors déposé une plainte à la police et a appris, par les agents, que M. Dahnoun avait décidé qu’il ne devait plus revenir au travail. Il a ainsi compris que son emploi était terminé et ne s’est pas présenté au travail pour les trois jours suivants.

El Tawil a déposé trois plaintes contre l’employeur : la première pour congédiement lié à son congé parental (art. 122 LNT), la deuxième pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 LNT), et la troisième pour harcèlement psychologique (art. 123.6 LNT) en raison de l’incident où M. Dahnoun l’a poussé. De son côté, l’employeur soutient que M. El Tawil a abandonné son emploi en s’absentant sans motif trois jours consécutifs et qu’il a refusé d’effectuer les tâches de nettoyage requises avant la fermeture pour les vacances de la construction.

Le Tribunal a conclu que les motifs invoqués pour le congédiement de M. El Tawil ne constituaient pas les réelles causes de son congédiement, mais plutôt des mesures de représailles et des prétextes visant à contrer l’exercice de son droit au congé parental. Indissociable de l’annonce de ce congé, le congédiement a été jugé illégal et ne pouvait donc être justifié par une cause juste et suffisante. Estimant que les relations entre M. El Tawil et les membres clés de la direction s’étaient irréparablement détériorées, le Tribunal a jugé sa réintégration illusoire et lui a accordé une indemnité de fin d’emploi en vertu de l’article 124 de la LNT.

 

Voyez comment le juge a justifié sa décision :

L’employeur avait-il une autre cause sérieuse pour procéder au congédiement du plaignant?

[46] Les versions contradictoires des témoins de l’employeur ainsi que les nombreux motifs de congédiement apparaissant soudainement dans la lettre datée du 20 juillet 2018, démontrent qu’il ne s’agit pas des réelles causes du congédiement du plaignant, mais plutôt de prétextes pour contrer sa demande de congé parental.

[47] En effet, selon le témoignage de monsieur Dahnoun, c’est en raison de son refus d’effectuer les tâches demandées que le plaignant a été congédié, sans que son attitude ait été prise en compte. Par contre de son côté, madame Dahnoun explique que c’est en raison de la gravité de l’insubordination et des menaces proférées par le plaignant le 17 juillet 2018, dans son bureau, qu’il a été décidé de le congédier. Il y a là une contradiction flagrante au sujet des motifs réels pour lesquels l’employeur a mis fin à l’emploi du plaignant.

(…)

[61] Le Tribunal ne retient pas cette prétention. L’affectation du plaignant aux tâches de nettoyage a plutôt les allures d’une mesure de représailles qui lui est imposée en raison de l’exercice de son droit au congé parental.

[62] C’est cette mesure que le plaignant va questionner lorsqu’il se rend dans le bureau de la directrice de la production et des ressources humaines. Monsieur Dahnoun lui crie alors qu’il doit faire ce qu’on lui demande ou partir, avant que la situation ne dégénère et qu’il pousse le plaignant.

[63] Ainsi, même si l’on retenait que le plaignant a fait preuve d’insubordination en se rendant dans le bureau de madame Dahnoun pour questionner son affectation aux tâches de nettoyage, celles-ci lui ont été assignées en raison de sa demande de congé parental, que l’employeur a voulu le punir. Son congédiement est donc indissociable de l’annonce de son congé, qui dérange l’employeur.

[64] Le Tribunal conclut donc que l’employeur n’a pas démontré une autre cause sérieuse de congédiement lui permettant de renverser la présomption légale de l’article 17 du Code. En conséquence, la plainte déposée par le plaignant en vertu de l’article 122 de la LNT est accueillie.

[65] Comme le congédiement du plaignant a été fait illégalement, il ne peut avoir été fait pour une cause juste et suffisante. Il y a donc également lieu d’accueillir la plainte déposée en vertu de l’article 124 de la LNT.

[66] Par ailleurs, même en faisant abstraction de la plainte déposée en vertu de l’article 122 de la LNT, le Tribunal estime que l’employeur n’a pas fait la preuve d’une cause juste et suffisante justifiant le congédiement immédiat du plaignant, un salarié ayant cinq ans de service continu et un dossier disciplinaire vierge.

(…)

Le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique?

[70] Toutefois, même s’il s’agit d’un comportement qui n’a aucunement sa place dans un milieu de travail, cela n’en fait pas automatiquement un geste de harcèlement psychologique. Pour en arriver à cette conclusion, le plaignant doit également démontrer que ce geste a produit un effet nocif continu pour lui.

[71] À ce sujet, son témoignage est cependant sommaire. Il reconnaît avoir décliné l’offre d’aide psychologique des policiers et il rapporte que, lorsqu’il est revenu chez lui, il s’est senti fatigué, cassé, comme s’il n’avait plus d’avenir. Il ajoute qu’il n’avait plus d’appétit et qu’il ne voulait plus parler ni sortir et voir des gens, incluant sa conjointe et son fils. En somme, il dit être resté en retrait pendant un certain temps.

[72] Avec égard, le Tribunal estime que cette preuve ne suffit pas pour conclure que les gestes de monsieur Dahnoun ont entraîné un effet nocif continu qui dépasse les désagréments inhérents à tout congédiement fait pour un motif illégal.

(…)

La réintégration :

[76] Comme c’était le cas dans cette affaire, le Tribunal comprend donc que le plaignant renonce au droit à la réintégration lui résultant de sa plainte déposée en vertu de l’article 122 de la LNT, sans toutefois renoncer à celui de réclamer une indemnité de fin d’emploi dans le cadre de sa plainte déposée en vertu de l’article 124 de la LNT. Il lui appartient toutefois de faire la preuve des motifs rendant sa réintégration impossible ou illusoire. Qu’en est-il?

[77] L’employeur compte de vingt à vingt-cinq salariés. La supérieure immédiate du plaignant est la directrice de la production et des ressources humaines et la sœur du président. Tous les deux participent activement à la gestion de l’entreprise et du personnel.

[78] D’ailleurs, ceux-ci se sont consultés avant de prendre la décision de le congédier et dans la lettre de congédiement qu’ils lui ont transmise, ils sont allés jusqu’à lui reprocher d’avoir faussement accusé monsieur Dahnoun de voies de fait, en plus des autres motifs de congédiement qui servent de prétexte.

[79] Dans les circonstances, le Tribunal estime que les relations du plaignant avec les membres clés de la direction de l’entreprise s’en trouvent dégradées au point où sa réintégration est illusoire. Il n’y a donc pas lieu de l’ordonner.