Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans Sbai c. Panthera Dentaire inc., on trouve une foule d’information intéressante en matière de fin d’emploi. Nous les déclinerons en pas moins de trois billets de blogue. Le troisième (celui-ci!) traite des critères à remplir lors d’un congédiement pour un motif sérieux en fin d’emploi – celui-ci n’aura duré que deux mois.
Le travailleur est gestionnaire aguerri dans le domaine du commerce international ayant travaillé pour moult compagnies de grande envergure. Il est recruté pour l’employeur par le biais d’une firme de recrutement. Il doit déménager de Montréal à Québec pour son nouvel emploi, en plus de quitter un emploi rémunérateur et stable.
Dans le cas d’une fin d’emploi où on allègue (et prouve) un motif sérieux, il n’est pas nécessaire de payer une indemnité de départ, ce qui rend la chose rentable pour un ex-employeur. Pour prouver un motif sérieux, il faut prouver le processus y ayant mené, une sorte d’avertissement multiple avant le couperet, qui se décline ainsi :
- le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes à son égard;
- ses lacunes lui ont été signalées;
- il a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger;
- il a bénéficié d’un délai raisonnable;
- il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration.
Ainsi, dans le dossier qui nous occupe, deux mois après son embauche, l’employé se fait cavalièrement montrer la porte – on lui argue qu’il n’est pas un bon fit et on ne lui explique jamais tout à fait les raisons de son renvoi. Qui plus est, l’employeur est particulièrement combatif dans son dossier en cour.
Le juge examine ensuite tous les critères qui peuvent mener à une fin d’emploi, à commencer par les attentes à son égard:
[117] L’incompétence alléguée par la défenderesse se résume à un PowerPoint, que Sbai a préparé pour donner un coup de main à un collègue.
[118] Il s’avère que, selon le témoignage de Robichaud, ce PowerPoint ne respecte pas l’idéal de la compagnie, ses objectifs et la couleur utilisée par Sbai ne respecte pas la charte existante.
[119] Pouvait-on évaluer le potentiel de Sbai sur la seule foi d’un PowerPoint, de même que sur les allégations de Diane au sujet de sa capacité à absorber la matière ? Quels sont les outils qui ont été mis à sa disposition pour lui permettre d’atteindre ses objectifs et de répondre à leurs attentes, comme prévu à la description du poste de directeur, division sommeil.
[120] Robichaud, supérieur immédiat de Sbai, est le seul ayant le pouvoir de le congédier. A-t-il véritablement fait part à Sbai de ses attentes, de ses obligations, de ses engagements ou a-t-il simplement endossé les propos de Diane quant au fait que « ça ne fit pas ».
[121] Le Tribunal estime que cette obligation de l’employeur a grandement été négligée.
Et quant aux autres critères :
[124] Non seulement n’a-t-on jamais rien signalé à Sbai concernant des lacunes possibles, mais, au contraire, lors des quelques jours passés au sein de l’entreprise, on envoie les messages contradictoires suivants :
➢ On favorise son déménagement vers Québec;
➢ On lui permet de s’inscrire à des voyages de représentations jusqu’au printemps 2021;
➢ On lui prévoit un espace de travail dans le nouvel aménagement de la compagnie;
➢ Alors qu’il connaît le son de cloche négatif de Diane, Robichaud réitère à Sbai quelques jours avant le congédiement que son travail est apprécié et qu’il entend le rencontrer en janvier pour discuter (suite au déménagement de la compagnie dans ses nouveaux locaux);
A-t-il obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs?
[125] Diane était peu disponible, selon le témoignage de Sbai, Robichaud occupé au déménagement de la compagnie et, manifestement peu intéressé, alors qu’il est le principal acteur de l’embauche et du congédiement de son employé.
A-t-il bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster?
[126] Comment l’aurait-il pu? Il fut convoqué à 9 h le matin et à 11 h, sa conjointe est venue le récupérer. Tout avait déjà été planifié, sans avis au principal intéressé.
[127] Dans Wallace c. United Grain Growers Ltd.,il est fait état de la subordination psychologique dans lequel se trouve le salarié au moment de son congédiement. C’est exactement l’état d’esprit dans lequel se trouve Sbai. Planche en témoigne : il est estomaqué, il n’a pas eu d’avertissement, il a envie de vomir.
A-t-il été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part?
[128] La preuve est à l’effet contraire, le message de la compagnie ne pouvait laisser présumer à Sbai, à cette étape de son intégration, qu’il n’était pas sur la bonne voie ou que le travail qu’il avait effectué jusque-là souffrait de compétence.
[129] Le fardeau de prouver que le congédiement a été fait pour un motif sérieux est celui de l’employeur et l’employé n’a pas à se porter le défenseur d’un comportement qui ne peut lui être imputé.
[130] La preuve est prépondérante et permet de conclure que Sbai a été congédié sans motif sérieux.