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Les fameux plans d’amélioration du rendement (performance improvement plan)

17 avril 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Juliette Fucina

 

 

 

Dans une décision du Tribunal administratif du travail de 2018, Lemieux et IBM Canada limitée, le Tribunal est amené à statuer sur une plainte pour congédiement déguisé.

Il y a belle lurette que nous voulons aborder les plans d’amélioration des performances (mieux connus en anglais sous le nom de PIP – performance improvement plan). Cette décision nous en donne l’occasion.

Dans cette affaire, la plaignante et directrice de compte prétend que son employeur a mis fin à son emploi après 30 ans de service pour motif qu’elle aurait refusé une offre d’indemnité de départ en juin 2016. La plaignante allègue que par suite de ce refus, son employeur lui aurait imposé des objectifs de ventes inatteignables, de même qu’un programme d’amélioration de rendement non justifié. Pour sa part, l’employeur prétend avoir exercé ses droits de direction de manière légitime et soutient, en outre, qu’il n’a jamais procédé au congédiement de la plaignante puisqu’elle est tombée en arrêt de travail pour cause de maladie.

 

Après une analyse détaillée du programme d’amélioration de rendement ayant été imposé par l’employeur, la preuve est, de l’avis du Tribunal, claire à l’effet que l’employeur n’entendait plus être lié à la plaignante et que cette dernière a dès lors fait l’objet d’un congédiement déguisé.

 

Voyez la façon dont le juge motive sa décision :

 

 

[52] Le Tribunal doit se demander si une personne raisonnable placée dans la même situation que la demanderesse conclurait que l’employeur n’entendait plus être lié par le contrat de travail. La demanderesse a analysé le PIP qui lui a été soumis et qui couvre la période du 28 mars 2017 au 30 juin 2017 :

  • Au niveau des résultats d’affaires, elle doit ajouter 500 000 $ de revenus en 3 mois. Au 30 mars 2017, 4,83 % de l’objectif est atteint et on lui demande d’atteindre 94 % de l’objectif pour le 30 juin.
  • Au niveau des succès du client, elle sera évaluée par le client et par son supérieur. Rien de précis sur l’objectif à atteindre.
  • Au niveau de la satisfaction du client, elle doit obtenir une note de 8 et plus dans un sondage soumis au client. Elle sait que cela est difficile à atteindre à cause des difficultés avec la plateforme.
  • Au niveau de l’innovation, elle doit fournir de l’innovation au client alors que ce dernier lui a demandé́ en décembre 2016 de mettre cela en suspens.
  • Au niveau de la responsabilité́ envers les autres, elle doit avoir une performance à haut niveau basée sur les commentaires de ses pairs et de la gestion.
  • Au niveau des habiletés de leader, elle doit se concentrer davantage sur les résultats et elle sera évaluée par la gestion.

[53] Devant un tel PIP, la demanderesse conclut que l’employeur ne veut plus d’elle. Le supérieur témoigne que ces objectifs sont réalistes et réalisables. Il n’explique pas pourquoi la demanderesse sera suivie sur les aspects innovation et habiletés de leader alors qu’elle avait obtenu la mention accomplie deux semaines auparavant.

[54] Ce que la demanderesse ne sait pas au moment des faits en litige, c’est que son gestionnaire considère que le client AIMIA ne justifie pas un salarié de niveau 10. Un niveau 8 serait suffisant. Le gestionnaire collecte également des informations sur la demanderesse afin de monter un dossier contre elle. On veut lui reprocher son attitude. Le gestionnaire affirme avoir tenté d’en discuter avec la demanderesse, mais celle-ci aurait refusé net d’en entendre parler. Le Tribunal ne donne pas grand foi au gestionnaire sur ce point. Il n’est pas du genre à s’en laisser imposer et il est peu plausible qu’il n’ait pas réagi vis-à-vis d’une telle attitude de confrontation. D’autant plus que ses évaluations annuelles antérieures entaient dithyrambiques.

[55] En l’espace de douze mois, l’employeur a fait fi de trente ans de loyaux services. La demanderesse a certes un fort caractère et devait parfois être intransigeante. Elle devait mener des négociations avec des clients pour des contrats de plusieurs millions de dollars et cela ne se fait pas sans heurt. Le client veut les plus bas coûts et la demanderesse veut les plus gros bénéfices pour son employeur. Qu’elle ait, au fil des années, froissé certaines personnes n’est qu’inévitable. On ne rémunère pas quelqu’un d’une somme de 200 000 $ et plus par année pour ses capacités de leader et de négociatrice sans penser que cela vient souvent avec une forte personnalité́.

[56] Le supérieur n’est pas crédible lorsqu’il affirme que malgré́ les suivis auprès de la demanderesse, rien ne progressait et que le PIP s’imposait. Au contraire, la preuve démontre très clairement qu’il y avait une absence de suivi de la part du gestionnaire quant aux reproches formulés postérieurement à l’encontre de la demanderesse. Le Tribunal ne peut que conclure à un stratagème de l’employeur visant à se débarrasser de la demanderesse. Le gestionnaire estimait payer trop cher la demanderesse pour le client qu’elle avait. Il a tenté une première indemnité́ de départ en 2016. Il a par la suite augmenté ses objectifs tout en sachant que le client avait un faible potentiel de développement. Il a collecté des reproches auprès de collègues et de clients sans en faire de suivi avec la demanderesse.

[57] Le Tribunal ne peut que déplorer la façon dont on a traité la demanderesse. Après un semestre où les résultats financiers ne sont pas atteints, on lui offre une indemnité́ de départ et, en cas de refus, on lui impose un PIP totalement injustifié́. Tout cela à peine 9 mois après que la demanderesse ait refusé une première offre d’indemnité́ de départ et signifié son intention de travailler encore 4 à 5 ans.

[58] Une personne raisonnable ne pouvait conclure qu’une chose : l’employeur n’entendait plus être lié par le contrat de travail.