Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration d’Océane Marceaux
Nous revisitons pour la deuxième fois dans ce blogue une décision rendue par la Cour d’appel en 2022, Leyne c. PSP Investments, dans laquelle le tribunal se prononce sur les éléments à prendre en considération dans la détermination des montants dus en vertu de régimes d’intéressement.
Un cadre supérieur d’une société d’investissement est congédié à l’âge de 51 ans en raison d’un rendement inférieur aux attentes. Son employeur lui offre un délai de congé de 9 mois, ainsi qu’une compensation financière en vertu de régimes d’intéressement à court terme (RICT) et à long terme (RILT). Le premier régime a pour objectif d’encourager l’employé dans l’atteinte de résultats sur une courte période, tandis que le second se rapporte aux performances à long terme, tout en favorisant la rétention et la fidélisation des employés. Si un congédiement survient, une somme est généralement versée en vertu de ces régimes.
Le demandeur saisit la Cour supérieure, insatisfait des montants qu’il a reçus de son employeur. La cour lui octroie un montant supplémentaire en vertu du RICT. Elle estime qu’étant donné que les primes de RICT représentent un élément essentiel du salaire annuel du demandeur, soit 80%, elles doivent être incluses dans sa rémunération pendant la période de préavis aux fins du calcul de l’indemnité. Toutefois, la cour rejette les autres réclamations, estimant que le délai-congé de neuf mois est raisonnable et que la compensation reçue en vertu du RILT est suffisante. En effet, elle est d’avis que le programme de RILT doit être traité différemment que le RICT, c’est-à-dire que les unités de RILT cessent de s’accumuler pendant la durée du délai de congé.
Ce sont ces deux dernières conclusions qui font l’objet d’un pourvoi à la Cour d’appel. Or, l’appel est rejeté. Le tribunal conclut que le juge de première instance n’a commis aucune erreur dans l’application des critères du délai de congé et dans la détermination du montant auquel a droit le demandeur en vertu du RILT.
Voyez comment le tribunal motive sa décision :
[34] Comme on le sait, l’employeur, conformément à l’article 2091 C.c.Q., jouit de la faculté unilatérale de résilier le contrat de travail à durée indéterminée qui le lie au salarié, faculté dont l’exercice n’est limité que par l’obligation de donner à son cocontractant un délai de congé raisonnable (préavis) ou une indemnité qui en tient lieu (et à laquelle le salarié ne peut renoncer, art. 2092 C.c.Q.). Dans le premier cas, le contrat prend fin à l’expiration du délai de congé, chaque partie demeurant tenue de respecter ses obligations pendant cette période[37]; dans le second, il peut prendre fin immédiatement[38], l’indemnité devant alors couvrir l’entièreté de la rémunération (c’est-à-dire les droits ayant une valeur pécuniaire) que le salarié aurait reçue pendant la durée du délai de congé. Elle inclut notamment les primes ou bonis, les avantages sociaux, le régime de retraite, etc.[39]. Le contrat peut par ailleurs prévoir un régime de fin d’emploi plus favorable que celui des articles 2091 et 2092 C.c.Q. Ce dernier ne peut toutefois pas être moindre, ces dispositions étant d’ordre public de protection.[40]
[35] […]
[36] En l’espèce, l’intimée ne conteste pas que l’indemnité due à l’appelant doive inclure un élément rattaché au RILT mais elle soumet que ce dernier a déjà reçu le boni RILT prévu dans son contrat d’emploi, lequel s’avère une indemnisation plus généreuse que celle découlant des articles 2091 et 2092C.c.Q. En effet, l’appelant a dans les faits reçu plus que ce qu’il aurait eu le droit de recevoir comme boni RILT pour l’année 2013 puisque certaines clauses contractuelles régissant ce dernier lui ont permis d’obtenir une somme plus considérable que s’il avait été encore à l’emploi de l’intimée, au printemps 2016.
***
[37] Le juge de première instance a conclu avec justesse que l’objectif du RILT était la motivation et la rétention des employés performants, sur le fondement des dispositions contractuelles suivantes du RILT : […]
[38] Cet objectif explique que la période de performance sur laquelle ce boni repose soit de longue durée. Ainsi, un employé qui demeure à l’emploi de l’intimée ne touche jamais le montant d’un RILT l’année même. Il doit attendre quatre ans avant que son boni soit payé pour une année donnée.
[39] En effet, le montant que peut recevoir un employé en vertu du RILT, qui est un programme d’intéressement pour une année donnée, est calculé en fonction d’une « période de performance » (Performance Period) qui s’échelonne sur quatre ans suivant l’allocation d’un montant fixe (pourcentage du salaire, lequel était au départ de 70 % et qui a augmenté à 80 % lors d’une réévaluation des postes au sein de l’intimée en octobre 2010).
[40] La valeur du boni est calculée en fonction de facteurs multiplicatifs appliqués à des objectifs à atteindre et des performances des fonds d’investissement sur les marchés (l’un valant pour 20 %, soit la performance du Total Fund, l’autre valant pour 80 %, soit la performance Asset Class ou « carte d’actifs »). Par exemple, le RILT de l’année 2011 n’est payé qu’en juin 2014, moment où l’ensemble des multiplicateurs de performance sont connus pour les années fiscales 2011, 2012, 2013 et 2014 (on calcule la moyenne des quatre). C’est donc dire que le RILT a un objectif prospectif, ne visant que le futur.
[41] Ainsi, comme le juge l’explique avec raison, lorsque le lien d’emploi se termine, ce type de boni n’a plus d’objet[42]. C’est ce qui lui fait conclure, avec justesse, que les termes « statutory period » que prévoit la clause 11.4 de la Convention RILT ne visent pas le délai de congé prévu à l’article 2091 C.c.Q., mais bien celui de deux semaines de l’article 230 C.c.t.[43] qui s’applique dans le cas du congédiement d’un cadre d’une entreprise fédérale en vertu de l’article 167(1)a) C.c.t. Contrairement à ce que prétend l’appelant, l’« événement » (event) dont il est question à la clause 11.4 de la Convention n’est pas ambigu. Il s’agit du congédiement immédiat de l’employé bénéficiant du RILT.
[42] La conclusion qui en découle est que l’appelant ne pouvait pas continuer de cumuler des unités pour le RILT de 2014 pendant son délai de congé comme s’il était toujours à l’emploi de l’intimée.
[43] Les clauses 11.1 à 11.4 de la Convention RILT prévoient la manière de calculer l’indemnité de départ RILT lorsque l’emploi d’un participant prend fin avant l’échéance de la période d’accumulation d’unités prévue par le programme, qui est de 48 mois : […]
[44] En l’espèce, la période d’accumulation de 48 mois pour l’obtention du boni de l’appelant pour l’année fiscale 2013 n’était pas complétée au moment où il a été congédié. L’élément déclencheur du paiement du boni RILT était la fin de la période d’accumulation de quatre ans. Pour l’année 2013, cette période d’accumulation prenait fin en avril 2016, soit pendant le délai de congé de l’appelant. Ce dernier avait donc droit de recevoir ce boni.
[45] L’appelant ayant été remercié sans motif sérieux, il a droit à une indemnité correspondant à un délai de congé raisonnable, ce qui inclut en l’espèce le paiement de certaines sommes liées au RILT. Les modalités de celui-ci font que l’appelant a reçu, en vertu des clauses contractuelles, une indemnité plus généreuse que celle à laquelle il aurait eu droit en vertu du droit commun.
[46] En effet, la perte subie ou le gain manqué de l’appelant est le montant de 478 494 $ qui aurait été accordé en avril 2016, en imaginant que l’appelant était toujours à l’emploi de l’intimée jusqu’à la fin de son délai de congé. Or, le mécanisme prévu dans les clauses 11.3 et 11.4 de la Convention RILT lui a permis d’obtenir un montant supérieur, de sorte que l’appelant a tort de soutenir que ces clauses sont illégales en vertu de l’article 2092 C.c.Q.
[47] Autrement dit, si le juge de première instance en était venu à conclure que les clauses 11.3 et 11.4 du RILT étaient illégales en vertu de l’article 2092C.c.Q, ce dernier aurait eu moins d’argent que ce qu’il a reçu dans les faits. En effet, si les clauses 11.3 et 11.4 de la Convention RILT n’existaient pas, le seul boni au titre du RILT auquel l’appelant aurait eu droit pendant son délai de congé aurait été celui d’avril 2016[44] puisque son délai de congé de 9 mois prenait fin le 4 août 2016[45].
[48] En effet, les clauses 11.3 et 11.4 de la Convention RILT prévoient la façon de calculer l’indemnité de départ RILT en cas de congédiement mettant fin à la relation d’emploi avant l’échéance des 48 mois sur lesquels s’échelonne le programme. Elles établissent une façon complètement différente de calculer le RILT que celle qui prévaut pour calculer le RILT d’un employé demeuré à l’emploi de l’intimée jusqu’à la fin de la période de performance de 48 mois.
[49] En effet, au lieu d’attendre à la fin des 48 mois de la période de performance, cette façon de faire calcule le montant en fonction des mois cumulés sur une période de
48 mois prenant fin au moment du congédiement. Par exemple, en l’espèce, le 18 novembre 2015, l’appelant avait accumulé 43,60 des 48 mois pour l’année fiscale 2013, soit 90,8 % de ce à quoi il aurait eu droit s’il était demeuré à l’emploi de l’intimée jusqu’au 31 mars 2016. Pour l’année fiscale 2014, ce sont 31,60 mois, soit 65,8 %, et pour l’année fiscale 2015, ce sont 19,60 mois, soit 40,8 % des 48 mois.
[50] Le délai statutaire visé est bien celui de 230 C.c.t. pour la raison suivante : les clauses 11.3 et 11.4 du RILT cherchent évidemment à compenser la perte de blocs d’unités accumulés, mais non récoltés au moment du congédiement, et non à créer un autre type de boni de départ qui aurait pour effet d’ajouter un montant à celui auquel aurait droit un employé qui déciderait de quitter l’entreprise de lui-même à la date de la fin du délai de congé, soit en août 2016.
[51] En effet, si on imagine que l’appelant était à l’emploi et partait de son propre chef au moment où se termine le délai de congé, il aurait eu droit, dans ce cas, à son boni d’avril 2016, soit 478 494 $. Il n’aurait certainement pas pu, en plus, demander en août 2016 d’appliquer la fiction créée par les clauses 11.3 et 11.4. Ces dernières ne sont certainement pas là pour créer un boni supplémentaire. Elles sont un mécanisme alternatif à l’article 2092 C.c.Q. qui permet de calculer un RILT uniquement fondé sur les blocs réellement accumulés. En effet, cela n’aurait pas de sens qu’un employé congédié puisse continuer à accumuler des blocs d’unités dans le cadre d’un régime visant la fidélisation des employés de l’entreprise.
[52] S’il était parti de son gré le 4 août 2016, Leyne n’aurait pas obtenu par anticipation son RILT pour l’année 2014.
[53] Comme l’explique le juge, la question de la classification du RILT comme boni compensatoire ou prospectif n’est que théorique, l’appelant ayant déjà eu plus que ce qui lui serait dû en vertu de l’article 2091 C.c.Q.
[54] En l’espèce, les parties ont déterminé à l’avance un régime RILT qui a été plus généreux pour l’appelant que ce qu’il aurait eu droit de recevoir de son employeur si ces clauses 11.3 et 11.4 de la Convention n’existaient pas. Le juge d’instance n’a donc pas commis d’erreur dans son interprétation de celles-ci dans le contexte du droit civil québécois applicable au délai de congé d’un employé.
[55] En somme, l’appelant voudrait utiliser l’article 2092 C.c.Q. pour transformer le boni de performance qu’est le RILT et l’étirer sur une période qui transcende le délai de congé accordé.
[56] Il souhaiterait que la Cour modifie les termes de la Convention, même s’ils lui ont été profitables dans les circonstances, sans expliquer sur quels fondements juridiques elle serait justifiée de le faire[46].
[57] Étant d’avis que le juge de première instance n’a ni erré dans la détermination de la durée du délai de congé de l’appelant ni dans la détermination du montant auquel il avait droit en vertu de la Convention établissant les modalités du RILT, je propose à la Cour de rejeter l’appel, avec les frais de justice.