Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans le jugement de la Cour supérieure Blanchette c. Fabrique de la Paroisse Notre Dame de Montréal, une directrice générale dans la soixantaine se fait remercier de ses services après seulement 5 mois d’emploi, un emploi pour lequel elle semblait avoir été sollicitée. L’employeur plaide que la directrice générale avait accordé un contrat à un géant du multimédia sans l’autorisation du conseil d’administration, entre autres.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à la durée déterminée ou indéterminée du contrat de travail de la directrice générale. Celle-ci plaide avoir signé un contrat à durée déterminé parce que le CA lui demandait de s’engager au minimum pour une période de 5 ans. Le CA ne voulait pas recommencer le processus laborieux visant l’embauche d’une DG de si tôt, ce qui est compréhensible. Cela dit, le contrat représentait donc un minimum, pas un maximum, et donc un contrat à durée indéterminée, ce qui semblait être l’intention commune des parties. Ainsi, l’indemnité de départ devra être raisonnable, et n’a pas à représenter « le reste du terme », puisque le contrat n’était pas juridiquement assorti d’un terme.
Voyez ici l’essentiel de la décision :
[438] À moins de termes contractuels clairs, aux fins de la qualification du contrat de travail, c’est-à-dire de déterminer s’il est à durée déterminée ou indéterminée, il convient de s’en remettre à l’intention des parties. Voici comment la Cour d’appel s’exprime à ce sujet[114] :
[28] Bref, l’exercice de qualification de la nature de la relation employeur-salarié est parfois problématique. La démarche est pourtant essentielle, puisque, en ce qui concerne sa terminaison ainsi que les droits et recours rattachés à celle-ci, le contrat à durée déterminée obéit à un régime qui n’est pas celui du contrat à durée indéterminée. Il faut donc pouvoir les distinguer et savoir à quel type de contrat l’on a affaire, dans chaque cas.
[29] La règle cardinale en la matière est bien connue : sans négliger l’encadrement formel de la relation employeur-salarié ou l’étiquette qui lui est ostensiblement donnée, c’est la réalité de l’intention des parties, comme en toute matière contractuelle du reste, qui se révèle l’indicateur le plus probant de la nature du contrat. C’est ce que rappelle la Cour dans Thibodeau c. Ste-Julienne (Corp. municipale de) :
Même si chaque cas reste un cas d’espèce, il n’en demeure pas moins que la fixation d’un terme ne fait pas automatiquement d’un contrat d’emploi un contrat à durée déterminée lorsque les deux parties (comme c’est le cas ici) se réservent un droit de résiliation moyennant avis [renvoi omis].
Il convient, au-delà des mots utilisés, de retrouver la véritable intention des parties et de donner un sens général à l’ensemble des dispositions contractuelles.
[30] La recherche de l’intention des parties et la volonté de donner un sens utile à l’ensemble des dispositions contractuelles sont tout aussi nécessaires lorsqu’il s’agit de qualifier un contrat en vue de l’application de la Loi sur les normes du travail, loi d’ordre public que l’on ne peut contourner ni éluder et à laquelle on ne peut contrevenir, que ce soit directement ou indirectement et même, je le précise, en toute bonne foi.
[31] Par ailleurs, j’estime que, dans le cadre de cette recherche de l’intention véritable des parties, les tribunaux québécois, dans l’ensemble, et notre cour très certainement, adoptent une attitude qui coïncide avec celle que décrit ainsi la Cour d’appel de l’Ontario dans Ceccol v. Ontario Gymnastic Federation:
[24] I conclude with this observation. Fixed-term contracts of employment are, of course, legal. If their terms are clear, they will be enforced: see Chambly and Lambert, supra.
[25] However, the consequences for an employee of finding that an employment contract is for a fixed term are serious: the protections of the ESA and of the common law principle of reasonable notice do not apply when the fixed term expires. That is why, as Professor Geoffrey England points out in his text Individual Employment Law (Toronto: Irwin Law, 2000), “the courts require unequivocal and explicit language to establish such a contract, and will interpret any ambiguities strictly against the employer’s interests” (p. 222).
[26] It seems to me that a court should be particularly vigilant when an employee works for several years under a series of allegedly fixed term contracts. Employers should not be able to evade the traditional protections of the ESA and the common law by resorting to the label of “fixed term contract” when the underlying reality of the employment relationship is something quite different, namely, continuous service by the employee for many years coupled with verbal representations and conduct on the part of the employer that clearly signal an indefinite term relationship.
[Je souligne.]
[32] Cette attitude n’est pas nouvelle et caractérise déjà les motifs des juges majoritaires, sous la plume du juge Rinfret, dans Asbestos Corporation Ltd. c. Cook, où l’on constate une réticence à conclure au contrat à durée déterminée à moins que l’intention commune des parties ne soit claire et sans équivoque. Elle explique aussi pourquoi, ainsi que l’écrivent certains auteurs, « [s]elon la jurisprudence et la doctrine, un contrat de travail est cependant présumé d’une durée indéterminée, sauf preuve à l’effet contraire […] ». C’est à celui qui allègue le contrat à durée déterminée d’en faire la preuve.
[Sauf pour les paragraphes [24] et [25], soulignement ajouté]
[439] En l’espèce, ni la preuve matérielle, ni la preuve testimoniale ne permettent de conclure que le contrat de travail de Blanchette soit à durée déterminée. Au contraire, la preuve révèle que l’intention des parties était de conclure un contrat à durée indéterminée.
[440] L’offre d’emploi acceptée par Blanchette ne réfère à aucune durée déterminée[115] et le contrat d’emploi[116] signé par cette dernière ne comporte aucun terme.
[441] Le huitième paragraphe[117] du contrat confirme plutôt les discussions intervenues avec les membres du CA. Ceux-ci voulaient s’assurer que le candidat retenu occuperait ses fonctions pour une certaine période, afin d’éviter de devoir recommencer la démarche à court terme. Blanchette les a rassurés en les informant qu’elle s’engageait pour un minimum de cinq ans.
[442] Cette durée minimale recherchée repose sur l’ampleur du processus de recrutement, les coûts d’un tel recrutement et la volonté de continuité dans la mise en œuvre d’une nouvelle vision plus moderne et orientée vers les affaires. Le CA a entrepris le processus de recrutement en vue d’une embauche à long terme et Blanchette s’engageait minimalement pour cinq ans. Il s’agissait bien pour tous d’un minimum et non d’un maximum, c’est-à-dire d’un terme fixe.
[443] Le projet de contrat est conforme à ces discussions et à l’intention des parties. Il n’est donc pas possible de conclure qu’il se terminait selon un terme donné, c’est-à-dire à l’expiration de cinq ans.
[444] En conclusion, le contrat d’emploi est à durée indéterminée.