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L’obligation de minimiser son préjudice et de se trouver un emploi à 33 ans d’ancienneté

12 septembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans Caisse populaire c. Manon Girard, une décision récente de la Cour d’appel, on confirme une indemnité de départ de 24 mois donnée à une gestionnaire de 52 ans qui était à l’emploi de la compagnie depuis 33 ans.

Nous discutons abondamment dans se blogue de l’obligation de minimiser son préjudice, une obligation codifiée qui a une importance toute particulière en matière de fin d’emploi. Si un employé perd son emploi, il ne peut attendre tranquillement chez lui dans l’espoir d’augmenter son indemnité de départ. Il doit faire des recherches d’emploi, et doit accepter un emploi raisonnable et semblable.

Dans le dossier qui nous occupe, un des motifs d’appel est celui de l’employeur qui reproche à son ex-employée de ne pas avoir minimisé son préjudice. Il faut aussi savoir que la Cour d’appel suivra généralement le jugement de première instance dans ce type d’appréciation.

Ici, essentiellement, l’employeur avait mollement offert à l’employée un nouvel emploi dans l’une de ses institutions, alors qu’elle avait été traumatisée de sa fin d’emploi. Ces « offres » n’ont guère ému la Cour. Voyez plutôt :

 

 

[38]      L’obligation de la victime de minimiser son préjudice est prévue à l’article 1479 C.c.Q. :

1479.  La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. 1479.  A person who is bound to make reparation for an injury is not liable for any aggravation of the injury that the victim could have avoided.

[39]      Dans le cas d’un préjudice découlant d’un délai-congé insuffisant, cette obligation comporte deux volets : (1) le salarié congédié doit faire des efforts raisonnables pour se trouver un emploi dans le même domaine d’activité ou dans un domaine connexe; et (2) le salarié ne doit pas refuser d’offres d’emploi qui, dans les circonstances, sont raisonnables[24].

[40]      Il s’agit d’une obligation de moyen qui s’évalue selon le critère objectif de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Comme l’écrit la juge Bich, pour la Cour, dans Carrier c. Mittal Canada inc., le salarié « n’a pas à remuer mers et mondes pour tenter de se trouver un autre emploi le plus rapidement possible, le standard étant ici celui des efforts raisonnables »[25].

[41]      Enfin, il incombait à la Caisse de démontrer que Mme Girard a manqué à son obligation de minimisation et que ce manquement a aggravé son préjudice[26].

[42]      Le juge conclut que la Caisse ne s’est pas déchargée de ce fardeau. Celle-ci lui reproche d’avoir omis de tenir compte des éléments suivants :

  •       Le fait que Mme Girard, par l’entremise de son conjoint, a refusé une offre d’emploi à la Caisse Desjardins de Lévis en juin 2014;
  •       Son refus de travailler dans toute autre institution financière faisant partie du Mouvement Desjardins;
  •       Ses critères irréalistes de recherche d’emploi.

[43]      Le reproche n’est pas fondé.

[44]      D’abord, l’offre d’emploi auquel la Caisse fait référence se résume à un coup de fil du directeur général de la Caisse Desjardins de Lévis, M. Benoît Caron, en juin 2014. Ce dernier aurait dit à Mme Girard : « Écoute, j’ouvre 50 postes par année, Manon, viens‑t’en travailler avec nous autres ». C’est tout, M. Caron n’a pas témoigné et on ne sait rien de ces nouveaux postes.

[45]      De toute façon, en juin 2014, Mme Girard souffrait d’une profonde dépression et recevait des prestations d’invalidité. Selon son conjoint, celui-là même qui a rapporté les paroles de M. Caron, elle n’était pas capable d’envisager un retour au travail, c’était impossible. Elle était « trop démolie » et le seul fait d’entendre le nom Desjardins lui donnait mal au cœur. La Caisse n’a présenté aucune preuve à l’effet contraire.

[46]      Quant au reste, le juge retient que Mme Girard a entrepris des démarches pour orienter sa recherche d’emploi au cours de l’année 2015, « dès qu’elle s’en est sentie capable »[27]. Elle a d’abord dirigé ses demandes en vue d’obtenir un emploi comparable[28], pour ensuite se tourner vers un emploi à plus faible revenu chez LTD avocats[29]. Selon le juge :

[387]  Rien ne suggère dans la preuve que la demanderesse bénéficie à ce moment d’autres opportunités mieux rémunérées, d’autant plus qu’elle n’est alors pas encore complètement remise sur pied et que sa confiance en elle demeure fragile.

[388]  Quelques mois plus tard, elle démarre son entreprise, ce qui encore une fois démontre ses efforts visant à capitaliser sur ses forces et ses connaissances acquises tout en composant avec la réalité de son âge et de ses possibilités presque inexistantes de réintégrer un emploi dans le secteur financier.[30]

[47]      Ces déterminations sont supportées par la preuve et la Caisse ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante justifiant de les mettre de côté.