Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane
Dans une décision récemment abordée dans un billet de ce blogue, St-Laurent c. Invue Security Products Inc., le Tribunal s’est également penché sur la question de savoir si l’employé a minimisé les dommages résultant de son congédiement, tel que prévu à l’article 1479 C.c.Q.
Tout d’abord, le Tribunal rappelle que cette obligation comporte deux volets : 1) l’employé doit faire des efforts raisonnables pour trouver un travail dans le même domaine d’activités ou un domaine connexe; 2) il ne peut pas refuser des offres d’emploi qui sont raisonnables compte tenu des circonstances. Tel que l’a enseigné la Cour suprême dans l’arrêt Evans, ce deuxième volet inclut notamment l’obligation d’accepter une offre raisonnable de son employeur.
Ainsi, si l’employeur offre à l’employé la possibilité de limiter son préjudice en revenant travailler pour lui, le Tribunal doit déterminer si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances accepterait ce nouveau poste. Cependant, même s’il y a lieu de recourir à un tel critère objectif, la Cour suprême souligne qu’il est primordial de considérer les aspects non tangibles de la situation de l’employé, tels que le climat de travail, la stigmatisation et la perte de dignité.
En l’espèce, pour déterminer si une personne raisonnable aurait accepté l’offre d’emploi, le Tribunal a analysé les sept critères élaborés par la jurisprudence et la doctrine. Après analyse, il est d’avis qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que l’employé aurait accepté le poste de Directeur MicroSigns et d’Insight, un rôle exécutif comportant des responsabilités importantes au sein de l’entreprise. En effet, l’employé aurait notamment conservé ses conditions de travail, son salaire et ses avantages sociaux. Il a plutôt choisi de quitter MicroSigns, alors que ses perspectives d’emploi étaient incertaines.
Ainsi, le Tribunal conclut que le refus de l’employé d’accepter l’offre de son employeur constitue dans ce cas un défaut à son obligation de réduire ses dommages. D’ailleurs, même si le présent Tribunal avait précédemment conclu à un congédiement déguisé de la part de l’employeur, le recours de l’employé aurait tout de même été rejeté.
Voyez comment le Tribunal motive sa décision :
- SI OUI, ST-LAURENT A-T-IL FAIT DÉFAUT DE MINIMISER SES DOMMAGES ET, SI OUI, QUELS SONT LES DOMMAGES SUBIS?
[…]
[108] Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Evans — un arrêt issu de la common law — l’obligation de ne pas refuser d’offre d’emploi raisonnable comprend notamment celle d’accepter une offre raisonnable de son employeur[107]. Afin de déterminer la raisonnabilité de l’offre, le test à appliquer est objectif et contextuel: Est-ce qu’une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, aurait accepté l’offre de l’employeur?
[109] Pour répondre à cette question, les tribunaux examinent en principe sept critères[108] :
- a) Le salaire offert a-t-il changé?
- b) Les conditions de travail sont-elles sensiblement différentes?
- c) Le travail est-il dégradant?
- d) Les relations personnelles sont-elles acrimonieuses?
- e) Quels sont l’historique et la nature de l’emploi?
- f) L’employé a-t-il ou non intenté une action en justice?
- g) L’offre a-t-elle été faite à l’employé pendant qu’il travaillait encore pour l’employeur ou seulement après son départ?
[110] Le fardeau de la preuve afin d’établir une absence de minimisation des dommages repose sur l’employeur. Enfin, Evans mentionne aussi que l’obligation d’accepter le poste offert sera plus contraignante lorsque la modification du poste n’est pas liée à la personne même du salarié, mais découle plutôt des besoins légitimes de l’entreprise[109].
[111] Ainsi, l’offre d’emploi qui peut être à l’origine d’un congédiement déguisé doit être analysée afin de déterminer si elle est raisonnable et si elle devait être acceptée par l’employé.
[112] La jurisprudence a clairement reconnu l’application du principe énoncé dans Evans en droit québécois[110]. La plus récente décision ayant appliqué ce principe est l’affaire Poulin, où la Cour conclut à un congédiement déguisé, mais en appliquant les critères de la minimisation des dommages, détermine que le demandeur aurait dû accepter l’offre d’emploi qui était à l’origine du litige[111].
[115] Analysons les sept critères applicables :
- Premier et deuxième critères: Le salaire et les conditions de travail de St-Laurent — son lieu de travail, son horaire et ses avantages sociaux sont demeurés les mêmes. Son titre est aussi demeuré le même — Directeur MicroSigns, mais on a aussi ajouté le titre de Directeur Insight.
- Troisième critère: Par ailleurs, l’offre d’emploi proposée à St-Laurent n’était pas dégradante. Il s’agissait d’un poste clé au sein de l’entreprise et d’un poste exécutif qui lui conférait des responsabilités importantes tant au niveau de la stratégie des produits de MicroSigns et d’Insight ainsi qu’un rôle de support au niveau des ventes.
- Quatrième critère: St-Laurent n’avait pas de relations acrimonieuses avec son entourage. Il était peut-être en désaccord avec les prises de décisions, mais rien dans la preuve n’indique que ses relations interpersonnelles avec Moock, Gibson, Prothero et les autres membres de l’équipe n’étaient pas bonnes.
- Cinquième critère: Le poste créé était nouveau, puisqu’il faisait partie d’une stratégie de réorganisation et de mise sur pied du Département Logiciels d’Invue. Ainsi, rien dans l’historique ou la nature de cet emploi ne suggère qu’une personne raisonnable l’aurait refusé.
- Sixième et septième critères: Enfin, le poste lui a été offert pendant son emploi et alors qu’aucune action en justice n’avait été instituée.
[116] Le Tribunal ajoute que la modification du poste proposé par MicroSigns-Invue n’est pas liée à la personne même de St-Laurent. Au risque de se répéter, le Tribunal est d’avis que l’employeur a démontré que les décisions prises découlaient des besoins légitimes de la société, qui devait consolider ses produits logiciels et établir une stratégie cohérente de développement et de commercialisation.
[117] Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait accepté le rôle proposé, d’autant plus que St-Laurent admet que ses perspectives d’emploi étaient incertaines et limitées vu son parcours d’entrepreneur[112].
[118] Par conséquent, les sept critères militent en faveur d’une acceptation par une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, de l’offre d’emploi proposée.