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Nouvelle décision de la Cour d’appel en matière d’indemnités de départ : il est important pour le juge de première instance d’analyser tous les éléments mis en preuve quant au congédiement déguisé

30 mai 2023

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause de la Cour d’appel du Québec, Lareau c. Centre du camion Gamache inc., un directeur des ventes chevronné porte en appel une décision de la Cour supérieure qui rejette sa demande, à savoir qu’il a été congédié de façon déguisée.

La trame factuelle est touffue, mais tentons de la résumer succinctement – nos excuses à l’avances aux parties. Ledit directeur des ventes voit son poste aboli de façon concurrente avec un congé de maladie, mais aura un nouveau contrat de travail à son retour. L’employeur respecte plus ou moins le nouveau contrat, et les relations entre l’employé et l’employeur connaissent plusieurs heurts. L’employeur modifiera des politiques de vente, il y aura des escalades verbales et même physiques, et l’employé n’aura accès aux chiffres des la compagnie (pour calculer ce qui lui est dû) qu’après des démarches en cour. L’employé se déclare congédié de façon déguisée et demande 24 mois en guise d’indemnité de départ, ainsi que plusieurs sommes lui étant dues.

Nous examinons ici la deuxième erreur du jugement de première instance. Le directeur des ventes avait négocié férocement une clause dans son contrat de travail qui le plaçait directement en dessous du directeur général dans l’organigramme. Ensuite, il a à maintes reprises demandé des renseignements financiers qui lui permettraient de calculer son dû, sans succès. Ces deux éléments ont fait l’objet de modifications substantielles et unilatérales, et ils faisaient partie de son contrat de travail, ce qui est constitutif du congédiement déguisé. Cela dit, le juge de première instance n’avait pas suffisamment pris en compte ces éléments, malgré leur mise en preuve.

Voici la façon dont la Cour d’appel en discute :

 

 

[96]      L’appelant plaide qu’au paragraphe 86 du jugement, non seulement la juge n’applique pas le test jurisprudentiel pertinent à l’analyse d’un congédiement déguisé, mais qu’elle erre de manière manifeste et déterminante en ne retenant que trois éléments – soit les nouvelles politiques concernant le stationnement et l’autorisation préalable du coordonnateur des ventes et celle implantant un code de conduite – sans analyser les manquements substantiels aux clauses 5 et 6 de son contrat de travail, lesquels ressortent pourtant de la preuve.

[97]      L’intimée rétorque qu’il s’agit d’une nouvelle théorie de la cause puisque l’appelant n’a nullement plaidé ce moyen en première instance, et que, même si cela avait été le cas, elle n’a nullement manqué de manière substantielle à ses obligations contractuelles en regard de ces clauses.

[98]      Je suis d’avis que l’appelant a raison et que la juge a erré en droit de manière déterminante en ne traitant pas des manquements substantiels aux clauses 5 et 6 du contrat de travail de l’appelant dans son analyse du congédiement déguisé.

[99]      Les violations ainsi alléguées par l’appelant concernent des modifications substantielles unilatérales dans la rémunération de l’appelant ainsi que dans la réalisation des tâches qui lui sont confiées. En effet, tel que mentionné précédemment, le test jurisprudentiel applicable consiste à « établir la violation d’une condition expresse ou tacite du contrat, puis décider si elle est suffisamment grave pour constituer un congédiement déguisé […] Habituellement, la violation réside alors dans la modification de la rémunération du salarié, des tâches qui lui sont confiées ou de son lieu de travail qui est à la fois unilatérale et substantielle »[36].

[100]   Suivant les enseignements formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Potter, j’estime que les violations de conditions expresses du contrat de travail ont été établies par l’appelant et que celles-ci sont suffisamment graves pour constituer un congédiement déguisé.

[101]   Ces manquements substantiels au contrat de travail devaient être considérés par la juge dans son analyse du congédiement déguisé, ce qu’elle n’a pas fait. Force est toutefois de reconnaître que la preuve était inutilement dense en première instance et que, dans la demande introductive d’instance, l’absence de ventilation de la réclamation de 829 348,80 $, en vertu du plan de rétention, ne lui facilitait pas la tâche.

[102]   La juge a conclu qu’il n’y avait pas eu congédiement déguisé en se fondant sur une analyse partielle de la preuve, soit de trois éléments de celle-ci : la nouvelle politique de CCG sur le stationnement, la politique exigeant l’autorisation préalable du coordonnateur des ventes avant chaque vente et l’adoption du code de conduite[37]. Elle n’a pas traité du fait que le contrat prévoyait que l’appelant devait relever directement du président de CCG, Richard Gamache, ni que les demandes répétées de l’appelant sont restées sans réponse pour obtenir les documents nécessaires afin évaluer si les montants qu’il avait reçus étaient exacts.

[103]   J’estime qu’en omettant ainsi d’étudier les violations aux clauses 5 et 6 du contrat de travail, la juge commet une erreur révisable. Il convient donc de faire ici cette analyse. En effet, il ressort de la preuve que l’appelant a accepté d’être rétrogradé à son retour de congé de maladie, en contrepartie de ces clauses âprement négociées de son nouveau contrat de travail, lesquelles étaient d’ailleurs essentielles à son acceptation de celui-ci.